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qui en se réalisant tueront la guerre et qui ne peuvent être, pourtant, réalisés que par la guerre.

— Quel peuple ! dis-je en conclusion ; et quels chefs il a choisis ! Mais, étant donnée une nation pareille, que mettre à la place d’un pareil gouvernement ?

— Mets-y un clou ! s’écrie mon père ; et si tu veux faire ton chemin dans l’armée, ne parle jamais de la nécessité d’une guerre. Nous sommes là pour maintenir la paix ; rappelle-toi ça. C’est juste ce que les pouvoirs publics m’ont dit à Marseille, lorsqu’ils sont venus me recevoir à mon retour. Ils m’ont dit que j’avais conquis le Garamaka pour maintenir la paix. C’est bien possible. Il y avait des petites filles, gentilles à croquer, qui m’ont offert des fleurs, des fonctionnaires écailleux qui m’ont infligé des discours, un poète déplumé qui a lu une pièce de vers où il me disait que je lui débarquais dans le cœur. Je suis dur à épater, mais il m’en a bouché un coin. Enfin, on a été bien gentil… Tu comprends, je suis enchanté d’avoir dirigé cette expédition. Profits pécuniaires à part, j’ai maintenant l’avantage d’avoir commandé en chef devant l’ennemi. Et puis, j’ai la satisfaction personnelle d’avoir combattu pour la civilisation.

Un peu pour dissimuler un sourire, je me dirige vers une table sur laquelle est déposée une grande boîte ; j’en soulève le couvercle, mais je le laisse retomber immédiatement. Cette boîte est pleine de petits os, d’ongles, de dents qui ont appartenu à des hommes.

— Ah ! ah ! ah ! ricane mon père, tu ne sais pas ce que c’est que ça ? C’est pour faire des bijoux porte-veine. Une idée d’un bijoutier de la rue de la Paix ; il m’avait demandé de lui rapporter ces choses-là : il doit les monter en or. Ça va faire fureur ; on était las du cochon. On appellera ça la breloque humaine…