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donne un amer et pressant désir de vivre, de dépenser des forces. Et je me souviens, à ces moments-là, que Mme  Hardouin est très belle ; et j’en redeviens amoureux, éperdûment amoureux.

C’est une chose, je pense, dont Mme  Hardouin se doute un peu, mais qu’elle doit feindre d’ignorer jusqu’à ce que j’aie fait l’indispensable déclaration. Et cet aveu nécessaire des sentiments qui m’agitent m’est assez difficile. Ce n’est pas que je sois arrêté par les scrupules qui m’avaient retenu tout d’abord ; j’ai acquis la conviction que Me Hardouin se préoccupe fort peu de ce que peut faire sa femme ; toute l’affection du notaire est certainement concentrée sur une enfant qu’il a eue d’un premier mariage, une petite fille de dix ans environ. Les obstacles auxquels je faisais allusion sont purement matériels.

La maison du notaire est transformée, depuis quelques temps, en une sorte d’agence électorale. Le député de Malenvers, le vieux Laventoux, est mort dernièrement et la ville doit lui donner un remplaçant. Les conservateurs, qui mascaradent en boulangistes, ont choisi pour leur champion un avocat clérical nommé Letonnelier, et le candidat des républicains est l’avocat Courbassol, gloire locale, ancien député de Paris auquel la grande ville, aux dernières élections, a préféré un boulangiste. Le gouvernement fait l’impossible pour assurer le triomphe de Courbassol ; et Me Hardouin travaille énergiquement au succès de l’homme dont la continuelle présence chez lui fait tant jaser, et qu’il méprise assurément. La politique a de ces mystères.

Comme il m’est impossible d’avoir avec Mme  Hardouin, chez elle, l’entretien que je désire, je m’avise d’un expédient. Je sais qu’elle se rend assidûment à l’église, chaque soir, afin d’ouïr les sermons d’un moine que le gouvernement a secrètement chargé, dans le département, d’une mission des plus délicates. Les gens au