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a l’audace de prétendre exister ; on a foi dans le progrès, et, chose plus étrange encore, on a foi dans la perpétuité du présent. C’est seulement en soi-même que l’homme refuse de croire. Époque religieuse, cher monsieur. Époque de foi, de paix et de résignation, et que menace un seul danger.

— Lequel ?

— Les grandes armées nationales. Les peuples sont comme des enfants qui ne demandent qu’à rester bien sages, mais entre les mains desquels on commet l’imprudence de laisser un instrument dangereux ; un jour ou l’autre, une catastrophe se produit. L’Église, heureusement, s’est rendu compte du péril. Par un savant système d’alliances, d’ententes, auquel le Vatican travaille activement, je le sais, on arrivera à équilibrer à peu près les forces européennes. Puis, après une campagne habile et sans doute longue, à laquelle viendra sûrement en aide l’imbécillité des socialistes, on réussira à présenter aux nations, comme un bienfait, la transformation des grandes armées actuelles en armées réduites. On arrachera de leurs mains une force qui pourrait devenir un facteur de libération et on les ramènera au système des armées prétoriennes. Cela se fera tout simplement, vous verrez.

— Je ne pense pas. On serait forcé de laisser sur le pavé, chaque année, quelques centaines de mille hommes.

— Cela augmenterait l’indigence, voulez-vous dire ? Petite affaire. Ça se tassera. Ça s’égalisera. La misère, comme les liquides, tend vers son niveau.

Je vais assez souvent au Valvert. La comtesse est fort aimable pour moi ; le comte lui-même semble m’avoir pris en amitié ; cela vient sans doute de ce que je me suis fait une règle de ne jamais lui poser une question. Quant à l’abbé, j’ai toujours grand plaisir à le voir ; son ironie me met, ou me remet, du cynisme dans l’âme, me