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Et quelque chose me dit qu’il en a pour un bout de temps…

— Est-ce qu’il n’avait pas le portefeuille de la guerre, en 1870, à la Délégation de Tours ?

— Ah ! s’écrie mon père avec fureur, ne me rappelle pas ça ; il y a de quoi me rendre fou ! Je ne sais que faire. J’ai été voir Delanoix, hier, et lui ai demandé de s’interposer en ma faveur, le cas échéant. Il n’a pas refusé, mais a promis de telle façon que j’ai bien vu qu’il n’y a pas à compter sur sa promesse. Il joue à l’honnête homme, il pose à l’incorruptible ! Ah ! la crapule ! Quand je pense à tout ce qu’il me doit ! N’est-ce pas moi qui ai marié sa fille ? Hein ? N’est-ce pas moi ? Tu te rappelles, j’espère… Raubvogel, lui, a toujours été reconnaissant ; sa femme aussi. Voilà des bons parents. Mais ce Delanoix ! Ah ! le cochon !… Attends un peu ; qu’il m’arrive quelque chose et tu vas voir ! Je vends toutes les mèches ! Je casse du sucre sur tout le monde ! Et j’en sais ! Et j’en sais !…

Cornac, qui apporte une carte sur un plateau, interrompt mon père. Jeter les yeux sur la carte, pousser un cri, se lever, se précipiter vers la glace afin de remettre en ordre sa toilette, voilà ce que mon père sait faire en moins de temps que je ne pourrais le dire. C’est étonnant comme il est agile, vif, malgré son embonpoint et son âge. On lui donnerait à peine cinquante ans ; et je me prends à l’envier, presque ; à jalouser son exubérance, son insouciance, l’inconsciente et rapide naïveté de son langage et de ses mouvements, tout, jusqu’à sa vie mouvementée et amusante, que je compare tristement à la monotonie de la mienne. Il a compris l’existence, lui…

— Tu m’excuses, n’est-ce pas ? me demande-t-il en quittant la salle à manger. Si tu es pressé, ne m’attends pas ; j’en ai peut-être pour quelque temps.

Il sort. Il a oublié la carte sur la table ; je l’attire à moi. « Baronne de Haulka. » Je crois connaître ce nom ;