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nous avons assisté, mon père et moi. Une foule énorme, subitement rassemblée par le plus grand des hasards, a envahi la rue pour acclamer le général à sa sortie de la maison. La manifestation, bien qu’inopinée, a été grandiose et a fortement ému le gouvernement. Et hier, le cher cousin, pensant que le prêtre doit vivre de l’autel, a lancé sa nouvelle affaire des Tapiocas militaires, dont le succès est prodigieux. Raubvogel, donc, nage dans l’opulence.

Mais pas dans la joie. Il y a une ombre au tableau de sa félicité. Delanoix, ce beau-père que Raubvogel a contribué, plus que tout autre, à asseoir sur une chaise curule, Delanoix fait preuve de la plus noire ingratitude. Il est républicain, républicain austère et convaincu, et jette l’anathème au Boulangisme, deux fois par semaine, du haut de la tribune du Sénat. « Renierons-nous, s’écrie-t-il, nos pères, ces géants ? La France va-t-elle se prostituer à un nouveau César ? » Voilà des choses qui désolent Raubvogel, et lui font verser des larmes, dans le silence du cabinet. Du moins, il me l’a dit ; je l’ai cru, et je l’ai répété au général de Porchemart, qui s’en est tenu les côtes pendant dix minutes. Le général est peut-être au courant de choses que j’ignore. Ce que je n’ignore pas, par exemple, c’est que Delanoix a dénoncé violemment, dans son dernier discours, la continuelle présence, au ministère de la guerre, de personnages louches et d’individus équivoques.

Il est certain que, là-dessus, Delanoix n’exagère point. Les types les plus étranges, mâles et femelles, pullulent au ministère. On en trouve dans tous les bureaux, sous toutes les tables, derrière tous les fauteuils ; ça sent le juif, le jésuite et la putain ; c’est une pétaudière. Mais ce sont là des détails que le public ne sait pas, ne veut pas savoir. Tout ce qu’il voit, c’est le port de la barbe autorisé dans l’armée, les réfectoires, les guérites tricolores…