Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un jour un beau mariage ; mais, pour le moment, je me contente de jouer au petit ménage, avec celle-ci ou avec celle-là ; on en pince pour la culotte, à Paris ; ça dure ce que ça dure ; et après la rupture, on jase, on prétend que les caresses de Mars coûtent cher à Vénus. Mais tout cela n’entame pas le prestige de l’épaulette.

En dépit de l’opinion courante, j’ose affirmer que la fréquentation des femmes, des femmes élégantes, est indispensable à l’officier d’avenir. Cette fréquentation seule peut le mettre à l’abri de bien des tentations et de bien des périls.

— Je cesse de croire au succès final de Boulanger, m’a dit l’autre jour mon père ; il se laisse entortiller par toutes les grues. Les femmes le perdront. Rappelle-toi ce que je te dis, mon garçon : les femmes le perdront. Et sais-tu pourquoi ? Parce que cet homme, toute sa vie, a ignoré les femmes. Jusqu’à ces temps derniers, il n’avait jamais connu que les pantalons de madapolam de son épouse. Dès qu’il a vu une chemise de soie, il a été fichu. Un militaire doit connaître les dessous luxueux ; c’est de première importance. Moi, avec mon tempérament, si j’ai pu faire mon chemin, c’est parce que, dès le début, je n’ai rien ignoré de ces choses-là. Ta mère, pour ne citer qu’un cas, ta mère avait un trousseau magnifique.

Mon père sera peut-être bon prophète ; et il est possible, en effet, que les femmes causent la ruine du général Boulanger. Mais, pour le moment, sa popularité ne fait qu’augmenter. La lutte politique engagée, timide, malhonnête, peureuse et bruyante, est certainement ridicule. Malgré tout, c’est un jeu. Ça intéresse, ça prend, ça captive comme un jeu. Le cousin Raubvogel, avec lequel je suis dans les meilleurs termes, est un des plus fervents disciples du Sauveur ; il prêche la bonne parole boulangiste avec une conviction qui émeut. Avant-hier, il a offert en l’honneur du général un grand dîner auquel