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l’armée. Ah ! qu’on s’aime ! Ce n’est pas de l’amour, c’est de la rage. Et l’on peut facilement comprendre l’intensité des sentiments qui lient les uns aux autres les grands chefs militaires, lorsqu’on se rappelle que c’est à des sentiments, les plus hauts et les plus purs, et non à de vils intérêts, que le soldat sacrifie son existence. La profession des armes est un sacerdoce.

C’est là une grande vérité que le général de Porchemart n’oublie point. Petit-fils d’un chef vendéen qui rôtissait les pieds des Bleus et pillait les diligences pour l’amour de Dieu et du Roi, il s’est sincèrement rallié à la République, gouvernement que le pays a librement choisi ; il n’a pas jugé nécessaire, toutefois, d’abandonner ses croyances religieuses. Il a l’air d’un prêtre ; d’un prêtre, si j’ose m’exprimer ainsi, toujours à cheval sur le Devoir, avec la Patrie en croupe et le Soupçon pour tenir la bride de l’animal ; d’un prêtre impitoyable aux défaillances des simples mortels. Cette implacabilité s’est manifestée dernièrement, assure-t-on, par une dénonciation documentée contre le général de Lahaye-Marmenteau. Ce dernier, convaincu de s’être livré indirectement à des trafics répréhensibles, a dû se démettre des fonctions qu’il remplissait au ministère, et commande au loin une division d’infanterie. On n’a fait aucun bruit autour de cette affaire ; on parle tout bas de scandales nombreux et graves que sa divulgation eût fait éclater. Le général de Porchemart, sans doute, sait à quoi s’en tenir là-dessus ; mais sa face impénétrable ne laisse point deviner les secrets qu’il possède et qu’il utilisera peut-être, le moment venu, avec l’autorité que lui donnent sa réputation de droiture et la juste célébrité que lui valut une authentique action d’éclat, en 1870.

La vie du général de Porchemart est des plus simples et des plus régulières. Sa femme est une dame déjà âgée qui fréquente fort les églises, s’occupe de bonnes œuvres