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cinq semaines. Étant donné ce que vaut la vie, c’est suffisant. Vous dites ?… Pas un seul mot, je vous prie. C’était mon enfant à moi. Pas à vous. Elle ne se serait pas appelée Maubart, je vous en donne ma parole !

J’essaye de parler ; mais Adèle m’impose silence, d’un geste.

— Laissez-moi finir. Depuis, je me suis déterminée à vivre, à vivre bien, c’est-à-dire sans aucun souci de l’honnêteté. Cependant, je n’ai pu parvenir à vivre que médiocrement. Une expérience de quinze mois m’a démontré que, pour réussir dans ce genre d’existence, ainsi que dans les autres, il faut un capital. Voilà pourquoi je suis venue vous voir. Je ne vous demande point de m’exprimer vos regrets et de réparer vos fautes ; je vous demande de l’argent. Je vous réclame mon salaire, puisque vous m’avez traitée en fille. J’étais vierge. Une virginité a un prix. Payez-le.

Le récit d’Adèle, qu’elle n’aurait certainement pu faire plus court, a duré assez longtemps pour me permettre de reprendre complète possession de moi-même et d’envisager froidement la situation. Adèle veut de l’argent. Bien. Elle en aura. Cet argent qu’elle recevra me garantira contre de nouvelles tentatives de sa part. Mais, puisqu’elle a fait de la question une simple question d’affaires, qu’elle n’attende de moi que le langage et la façon d’agir d’un homme qui traite une affaire. Elle aurait aisément pu faire prendre aux choses une tournure différente, faire dévier l’aventure sur un terrain qui m’eût été moins favorable ; elle n’a pas su ; ou elle n’a pas voulu. Tant mieux pour moi. Adèle se méprend à mon silence, qui sans doute l’énerve. Elle se lève et vient vers moi, la tête haute, menaçante.

— Vous avez entendu ? Vous m’avez eue. Il faut me payer.

— Soit, dis-je froidement. Je vais vous payer. Combien voulez-vous ?