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voquante, on dirait perfide et cruelle ; la vérité de leur blond a pris les tons impitoyables du mensonge ; la bouche est plus nerveuse, les lèvres plus minces avec des contractions artificielles, le menton plus accusé. Une jolie femme, sûrement ; mais… Elle parle.

— Vous ne vous êtes pas beaucoup occupé de moi, n’est-ce pas ? Non ? Point du tout ? C’est peu flatteur ; mais cela va me permettre de vous exposer ma vie depuis… depuis que nous nous sommes vus pour la dernière fois. C’était à la fin d’août 1883, vous rappelez-vous ? et nous voici à la fin d’octobre 1885 ; un peu plus de deux ans. La première année, j’ai beaucoup pleuré ; la seconde année, j’ai essayé de rire ; ç’a été encore plus triste. Mais il faut procéder par ordre. Au début… Oh ! quand je me rappelle ! Ces lettres, ces lettres suppliantes que je vous écrivais tous les jours, deux fois par jour, et qui toutes sont restées sans réponse, toutes !… J’allais à la poste restante six fois par semaine. « Rien pour vous, mademoiselle. » Les employés me riaient au nez. Vous…

Elle s’arrête un instant et me toise, l’œil brillant, la lèvre frémissante.

— Vous portiez l’épaulette, pendant ce temps-là.

Je ne réponds pas. Je regarde au loin — très loin ; tout un passé, si court, et si vide d’honneur, tout plein de vilenies, déjà… Adèle reprend :

— Et puis, un jour, je me suis résolue à ne plus écrire. Savez-vous quel jour ? Le jour où je me suis aperçue que j’étais enceinte. Une idée de folle. Je me disais : « Il doit savoir que je vais être mère ; il le sait ; il va revenir ; il fera de moi sa femme ; un officier est un homme d’honneur. » Je vous dis que j’étais folle… Et du temps a passé, des semaines longues faites de jours sans fin. Un soir de décembre — je me souviens ; il faisait si froid, la neige — je me suis trouvée mal. On a envoyé chercher le docteur qui a révélé à mon père la vérité que j’avais cachée