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d’allure un peu mystérieuse, et voilée comme une héroïne de roman.

La voilette, d’ailleurs, est relevée tout de suite ; et je ne puis me défendre d’une émotion violente en reconnaissant Adèle Curmont. Adèle ! Il y a des mois et des mois que je n’ai pensé à elle ! Oui — et lorsque la sonnette a tinté, à l’instant, j’ai su que c’était elle qui était là, à la porte ; je sais maintenant que je l’ai su. — Et devant cette femme, immobile et muette, je ne peux comprendre quelle peur me saisit ; pas un remords ; non, plus que ça : la frayeur physique causée par une rapide vision intérieure de représailles possibles. Je me trouble, je balbutie, je prononce des mots sans suite. Je m’attendais si peu, si peu…

— Naturellement, dit Adèle en souriant ; je suis une revenante, ou presque ; mais comme je n’apparais pas la nuit, vous voudrez bien m’excuser de ne point avertir de ma visite. Vous ne m’offrez pas un siège ?

Je m’excuse, j’approche une chaise du feu. Adèle s’assied, très calme, très maîtresse d’elle-même. Je me demande avec inquiétude ce que cache cette apparente tranquillité ; une haine féroce, sans doute ; d’autant plus implacable qu’elle refuse de s’exhaler dans la colère. Ah ! je préférerais des plaintes, des récriminations, des insultes et des menaces. Je pense avec terreur qu’un scandale brise, quelquefois, l’avenir d’un officier, et qu’une main de femme peut arracher une épaulette… J’ai secoué l’émotion qui s’était emparée de moi tout d’abord, mais je me sens encore affreusement gêné, perplexe, anxieux. Je reste debout et j’examine Adèle tandis qu’elle joue avec son parapluie, silencieusement. Il reste peu de la jeune fille d’autrefois, dans cette femme ; les traits n’ont point changé, certes, mais l’expression est tout autre. Le front haut, comme pincé aux tempes, s’affirme plus volontaire qu’auparavant ; les cheveux sont d’une nuance plus pro-