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d’artiste ; je m’y exerçais de temps à autre au pistolet. Je vais disposer une cible, etc., de façon à ce qu’on puisse croire à un accident de tir. Quand vous entendrez une détonation, vous pourrez venir. Si je respirais encore, je compte sur vous pour m’achever. Fermez bien les portes de la maison et du jardin en vous en allant. Voici les clefs. Adieu.

Le général est sorti que je suis encore là, immobile, glacé par un froid singulier ; je cherche à échapper à l’émotion qui m’étreint, malgré moi ; je jette une brassée de papiers dans la cheminée et je les allume ; la flamme monte… J’écoute ; j’écoute. Rien… Je saisis une grande poignée de papiers et, avant de les lancer dans le feu, j’y jette un coup d’œil : des écrits, des dessins pornographiques. Je les livre à la flamme ; et d’autres ; et d’autres. Je saisis un album ; mais il me tombe des mains…

Une détonation vient d’éclater ; très sourde, faiblement répétée par les échos du corridor.

Je me dirige vers l’atelier dont a parlé le général ; j’ouvre la porte ; une petite odeur de poudre me monte à la gorge. Le général est étendu sur un sofa, un bras pendant dont la main a laissé échapper le revolver. Il y a un petit trou à la tempe droite, très noir et très profond, d’où coule un mince filet de sang. Je m’assure que le duc de Schaudegen est bien mort ; puis, je contemple le cadavre quelques instants. Duc, général, riche, puissant… avoir vécu comme ça et mourir comme ça ! Une farce qui se termine en tragédie ! Et ne serait-ce pas, plutôt — tout considéré — une tragédie qui se termine en farce ? Je n’en sais rien. C’est la France qui doit savoir ça…

Je quitte l’atelier et je reviens dans le petit salon. Un monceau de cendres dans l’âtre. L’obscurité commence à envahir la pièce ; je n’ai guère le courage de brûler là les livres et les albums qui sont encore sur la table ; je les détruirai aussi bien ailleurs. J’en fais un paquet que