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s’est décidé pour une vieille demoiselle, plusieurs fois millionnaire, qui habite la province. Il lui écrit tous les jours ; elle lui répond deux fois par jour. Je doute fort qu’elle devienne jamais la générale Maubart ; mais je sais pertinemment qu’elle finance. Mon père, très à court depuis quelque temps, s’est mis soudainement à régler les factures de ses fournisseurs et les billets de ses créanciers. Du reste, il ne solde jamais ces comptes sans les avoir réduits considérablement. Il appelle ça « rectifier le tir ».



Je crois que mon père n’exagérait pas en assurant que, lorsqu’on a de l’argent, les petites garnisons sont les meilleures ; il aurait pu ajouter, sans exagérer davantage, que les meilleures garnisons provinciales ne valent pas cher. Je ne vois pas la nécessité de décrire par le menu mon existence à Angenis ; mon nouveau régiment ne diffère pas sensiblement du premier ; les soldats se ressemblent autant par le caractère, ou plutôt par le manque de caractère, que par l’uniforme. Beaucoup de Bretons, comme à Nantes ; pauvres gens à cerveaux boueux, gangrenés de superstitions et qui payent l’impôt du sang avec la résignation triste des bêtes de somme ; quelques Parisiens vantards, gueulards, insolents et superficiels. Quant à mes collègues, ce qui m’a le plus frappé à leur sujet, c’est le nombre considérable de fioles pharmaceutiques qui s’alignent sur la table du mess, à l’heure des repas ; l’air d’Angenis doit être malsain, à la brune. Quant au colonel, il se montre, à mon égard, paternel à l’excès.

Le pauvre homme, pourtant, doit être un peu las de la paternité. Il a un fils qui l’a désespéré par ses frasques, et qui accomplit justement une année de service à son régiment ; ce jeune vaurien ne fait aucun service actif ; est pourvu d’un emploi de vélocipédiste ; roule à travers