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tout à l’heure ; voilà pourquoi j’ai maltraité mes hommes. S’ils faisaient preuve d’un peu de dignité, nous ne serions menés, ni eux ni nous, par des jésuites à panaches et des sacristains à épaulettes. Pauvres diables ! J’ai peut-être eu tort de les injurier, après tout ; ils n’en valent guère la peine. Et puis, je ne les embêterai plus longtemps.

— Qu’allez-vous faire ? ai-je demandé.

— Je vais partir, quitter la France. J’en ai assez. Trop. Avec mon grade, je ne puis me marier ; si je renonce à mon grade, j’abandonne mon seul gagne-pain et je ne puis non plus me marier honorablement. Il faut donc que je disparaisse afin de rendre toute liberté à la personne dont j’aurais voulu faire ma femme. Je veux aller à Cuba ; il y a là un peuple qui commence à se soulever contre le despotisme catholique de l’Espagne ; je pourrai peut-être lui être utile.

— Alors, vous allez donner votre démission ?

— Ma démission ? Non. Je vais partir, voilà tout.

J’aurais voulu dire quelque chose, quelque chose que je sentais que je n’oserais pas dire, quoique plus d’une des phrases du lieutenant Deméré eût traduit des sentiments et des impressions que j’avais jusque-là vainement cherché à formuler. Je prononçai quelques paroles et, soudainement, je me tus. Deméré s’arrêta.

— Si vous le voulez bien, dit-il, nous allons nous quitter ici ; il n’est peut-être pas bon pour vous qu’on vous voie avec moi ; on me regarde déjà comme un pestiféré, et bientôt… Il y a de bonnes langues dans la garnison…



De bonnes langues, en effet. Ma conversation avec Deméré a été discutée, critiquée, passée au crible de tous