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nettoient des vieux effets ; graissent des cuirs ; font quelques manœuvres ; n’apprennent point le maniement des armes nouvellement mises en service. Et leurs officiers, anciens volontaires d’un an ou gloires d’Écoles, généralement riches, les traitent suffisamment mal ; nous n’avons presque pas besoin de nous en mêler. On les insulte, on les punit, on les exploite, on les vole ; mais, sûrement, sans aucune mauvaise intention. L’armée n’est-elle pas une grande famille ?

Si. L’armée est une grande famille. Une famille comme l’autre. Où les déshérités, les faibles, sont méprisés, tenus à l’écart, injuriés, maltraités ; avec des tyrans et des esclaves ; des exploiteurs et des dupes ; des parents pauvres et des souffre-douleurs. La Grande famille — la famille en grand.

Et les officiers ? Ils ennuient les hommes. Surtout, ils s’ennuient. Ils vont du champ de manœuvres à la caserne ; de la caserne, au mess ; du mess, au café ; pérorent, hâblent ; parlent de bonnes fortunes peu réelles et peu fréquentes ; en rêvent ; se montent des scies, se jalousent, s’espionnent, se rendent des services, de mauvais services. Leurs conversations roulent sur l’exercice, les règlements, les potins du régiment, les cancans de la ville, les qualités des grands chefs, les bévues des capitaines, les faiblesses des commandants, la jalousie fatiguée et sournoise du lieutenant-colonel, la fragile et tremblante ambition du colonel. Et les femmes, les femmes, les femmes… Peu de brutes alcooliques ; des êtres vaniteux et inconscients, plutôt. La majorité affiche des prétentions aristocratiques. D’aucuns, à bon droit : petits-fils d’émigrés, rejetons de chouans, avec de l’eau bénite dans les veines, de la moelle de traître et du mercure dans les os. D’autres, sans aucun droit aux particules dont ils s’affublent, aux dénominations sonores dont ils agrémentent la vulgarité de leurs noms patronymiques, aux bla-