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ce que je vais vous dire. Vous vouliez avoir un billet de 5.000 francs, payable à trois mois ? Vous l’aurez. Mon fils va vous le signer. Et comme vous lui avez avancé 1.500 francs, vous allez lui verser, séance tenante, 3.000 francs. Vous aurez 500 francs pour l’intérêt, soit 10 p. 100 l’an, soit 20 p. 100 pour six mois. C’est coquet. Acceptez ou je vous fous par la fenêtre, comme j’ai dit. Allons ! Est-ce oui ? Non ?

Il fait un pas en avant. Un rictus épouvantable tord la face du juif qui, pourtant, ne prononce pas une parole. Il semble se décider tout d’un coup, et ouvre un tiroir. Pour y prendre une arme, peut-être ?… Non, un papier, timbré pour 5.000 francs et au-dessous, qu’il place sur le bureau, en face de moi. Sur un signe de mon père, debout, les bras croisés, à côté de l’usurier, je remplis et signe le billet que je tends à Lévy. Il l’examine attentivement sans un mot, le place dans un second tiroir qu’il vient d’ouvrir, et dont il sort un portefeuille. De ce portefeuille, lentement, il extrait trois billets de mille francs qu’il étale, du pouce, sur la table. Mon père les saisit, les fourre dans sa poche ; reprend sa canne, remet son chapeau sur sa tête, et me fait signe de le suivre. Le juif nous regarde sortir, appuyé au dossier de son fauteuil, les yeux brillants, muet.

En descendant l’escalier, mon père siffle un air de valse.

Nous marchons côte à côte, silencieusement, jusqu’au boulevard Saint-Germain ; lui, impassible en apparence, moi, encore très remué.

— Si nous prenions un apéritif ? me demande-t-il, comme nous passons devant la terrasse d’un café.

Nous nous asseyons. Il parle de choses indifférentes, très indifférentes. Il dit que le temps est beau pour la saison. Je prends le parti de l’interroger.

— Peux-tu me dire, père, comment il se fait… ?