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Ma grand’mère ne quitte que très rarement la maison ; aussi ai-je été surpris, ce matin, de la voir descendre, enveloppée de sa grande pelisse, et sortir sans me dire où elle allait.

Elle est revenue, une heure après environ, en compagnie d’une dame que je n’ai jamais vue. C’est une dame de quarante-cinq ans à peu près, à peine grisonnante, et de forte corpulence ; elle a de grands yeux noirs, et a dû être très belle. Ses manières sont très distinguées et très affables ; sa conversation est fort intéressante et dénote une femme d’intelligence et de savoir. Elle a déjeuné avec nous, et ma grand’mère m’a dit son nom : c’est Mme  de Rahoul.

Ma surprise a été grande. Je me figurais le Panari tout autrement. Je m’étais imaginé une créature ridicule, une sorte de mastodonte humain, dépourvu de tout intérêt, et très vilain. Mais Mme  de Rahoul est fort avenante et fort agréable. Elle est très grosse, simplement à cause du manque d’exercice. Les gens séquestrés sont tous très gros. À moins, bien entendu, qu’on ne leur donne pas à manger ; mais le général de Rahoul donne à manger à sa femme.

C’est-à-dire, pour être exact, qu’il lui a donné à manger jusqu’à la guerre. Quand il est parti, il lui a laissé une petite somme, une très petite somme, le moins qu’il a pu, en lui disant que les hostilités ne dureraient pas plus de deux ou trois semaines. Depuis, il n’a point donné de ses nouvelles à sa femme ; il ne lui a pas envoyé un sou. On croit qu’il a capitulé quelque part et qu’il est prisonnier en Allemagne ; mais on n’est sûr de rien. La situation du Panari, sans aucune ressource, était devenue très difficile ; Mme  de Rahoul mourait simplement