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L’ABBÉ.

N’importe, monsieur Bonhomme ; Vous devriez moins oublier que les gens dont vous parlez, dont la mort vous semble si agréable, sont des Français, et qu’ils sont vaincus — par conséquent dignes de pitié, ou tout au moins de respect.

MONSIEUR BONHOMME, piqué.

Ah vraiment, monsieur le curé ; ah ! vraiment ! Mais savez-vous que tous les ecclésiastiques ne raisonnent point comme vous ?… Ah mais, non… Heureusement !… Tenez ; voulez-vous que je vous raconte ce que j’ai vu, pas plus tard que ce matin ?… Figurez-vous que je passais rue Lafayette. Il y avait des soldats, des officiers, plein la rue ; des promeneurs aussi, des gens comme moi, par exemple, des dames, qui étaient venues prendre l’air en regardant défiler les colonnes de prisonniers. De temps en temps, dans les rues adjacentes, on fusillait un communard ou une pétroleuse, pour donner de l’animation. Un bien joli temps, d’ailleurs. Je m’étais arrêté un moment devant un café. Il y avait plusieurs consommateurs à la terrasse. Entre autres un homme de haute taille, aux yeux clairs. Il avait l’air triste, mais triste comme tout. Il ne me disait rien de bon. Avoir l’air si triste, par le temps qui court, ce n’est pas naturel. Ça me semblait louche. On a de ces pressentiments… Vous allez voir si je me trompais. Tout à coup, passe un prêtre — un curé comme vous, monsieur l’abbé — oh ! un gros curé, ventre majestueux, face rubiconde ; je le vois d’ici. Ah ! ah ! il n’était pas gras de lécher les murs, celui-là. Parvenu en face de notre homme, il s’arrête ; il le regarde fixement. Puis, je le vois se