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fourrages, un voleur retour du bagne, condamné jadis à vingt ans de travaux forcés pour viol et incendie, passe à cheval et me lance un regard méprisant. Je n’en veux pas à cette canaille. Il est bien forcé, ce fagot, pour frayer avec les honnêtes gens, de prendre leurs façons ignobles et leurs manières écœurantes. Ceux qu’il fréquente depuis sa sortie du bagne ont déteint sur lui, ça se voit.

Ils passent justement aussi, ceux-là : trois officiers d’administration, fringants, la cravache à la main, qui, en m’apercevant, prennent un air narquois qui s’accentue chez le premier et qui se change, chez les deux autres, en une grimace de dégoût. Ils laissent tomber sur mes menottes un coup d’œil dédaigneux et détournent vivement la tête. Ils ont l’estomac délicat ; ils n’en peuvent supporter davantage. Ah ! je les connais pourtant…

Ils ne semblent pas se douter, les dégoûtés, que le prisonnier assis sur la borne, au bord du chemin, ne changerait pas sa conscience contre la leur et qu’il ne voudrait, pour rien au monde, troquer ses mains enchaînées contre leurs mains gantées de blanc, mais graissées, en dessous, par les pattes crochues des riz-pain-sel.

Le gendarme ― mon gendarme ― arrive au trot.

— Vous marcherez à côté de mon cheval, et tâchez de ne pas vous écarter.

Le convoi s’ébranle, traverse la ville…

Il est encore de bonne heure, heureusement. Pas grand monde pour nous regarder : quelques Arabes seulement et des mouchachous qui ont bien vite vu ma chaîne et se sont mis à crier : « Chapard ! chapard ! »

La première étape n’est pas longue : dix-huit kilo-