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marchés. C’est là qu’on amène les petits bœufs secs et trapus, les biques aux longs poils noirs, les bourriques aux petites jambes nerveuses, au garrot ensanglanté, à l’échine meurtrie, les moutons sales et maigres, portant toute leur graisse dans une queue énorme qui se balance entre leurs pattes de derrière comme une grosse sabretache. C’est là que s’étalent, par terre, sous des lambeaux de toile, sur des tréteaux, l’or blond des céréales, le brun glacé des dattes, le vert criard et frais des pastèques aux chairs blanches et roses, le velours bleuâtre des figues, le violet des aubergines, l’incarnat des grenades, le jaune des citrouilles, le rouge froid des tomates et le rouge chaud des piments. Et, à côté de ces tas de légumes dont les couleurs vives éclatent sous le ciel clair, entre ces amoncellements de fruits qui sentent bon et sur lesquels le soleil jette de l’or, de hautes perches s’élèvent où pendent des lambeaux sanguinolents, quartiers de chairs que va découper sur un billot, à grands coups de coutelas, un boucher nu jusqu’à la ceinture, le torse éclaboussé de giclées sanglantes, les bras empâtés de rouge, la barbe souillée de caillots, effrayant.

Et les ruelles montent vers la vieille Kasbah démantelée et ouverte, descendent vers les remparts croulants dont les courtines dentelées laissent passer de loin en loin la gueule antique d’un canon de bronze penché de travers ou couché sur les talus à côté de son affût pourri. Elles s’élargissent ici, en face des portes bardées de fer de magasins devant lesquels des dromadaires accroupis balancent, au bout de leurs longs cous, leurs petites têtes aux yeux mi-clos. Là, elles se rétrécissent et le marchand d’eau qui revient de la fontaine avec ses ânons chargés d’outres frappe