Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trent de temps en temps, mystérieux et dignes, à la foule béante qui applaudit. Ce sentiment-là, je crois, n’est pas forcément cousu au fond d’un pantalon rouge. Il y a peut-être autant de patriotisme dans l’écrasement banal d’un maçon qui tombe d’un échafaudage ou dans la crevaison ignorée d’un mineur foudroyé par un coup de grisou, que dans la mort glorieuse d’un général tué à l’ennemi. Et il y a de bons patriotes, voyez-vous, qui haïssent la guerre, mais qui la feraient avec joie ― si l’on tentait d’assassiner la France ― parce qu’ils auraient l’espoir grandiose, ceux-là, non pas d’écraser un peuple, mais d’anéantir, avec le gouvernement qui le régit, toutes les tendances rétrogrades, féodales, anachroniques ― le caporalisme.


Je réfléchis longtemps à ces choses. Je pense aussi aux trois années que j’ai passées ici, à mon existence de paria ! Quelle vie ! quel spectacle !…


Et, lorsqu’ils ont défilé devant mes yeux, bien en lumière, tous ces affreux tableaux que j’évoque avec horreur, je m’aperçois que je n’en ai vu nettement qu’un côté, jusqu’à présent, et qu’une partie m’en a échappé, ― la partie la plus ignoble, sans doute, de ces conséquences de la compression.

Emporté par la passion, aveuglé par la haine, je n’ai jamais senti à mes côtés, parmi mes compagnons de servitude, que les insoumis, que ceux qui résistaient, ne voulaient pas plier ; les seuls événements qui aient frappé mon esprit sont ceux grâce auxquels s’est affirmée la lutte de l’homme qui veut rester libre contre la discipline abjecte. Les journées remplies de la farce grossière de l’existence servile n’ont rien