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pointe de vanité égoïste en jetant un coup d’œil, parmi les vingt hommes qui me suivent, sur deux ou trois malheureux qui clochent du pied et se traînent difficilement. Car c’est moi qui tiens la tête, c’est moi qui mène le bal, allant toujours, tant et plus, du même pas régulier, habitué à la charge énorme que je porte et qui ne pèse plus sur mes épaules, les bras rompus aux mouvements les plus pénibles et les plus prolongés du maniement d’armes que j’exécute machinalement, sans gêne.

Je crois qu’un homme, lorsqu’il a pu dépasser un certain degré de fatigue et d’abattement, franchir, par un effort tenace de résolution, la limite qu’il s’est d’abord figuré ne pouvoir atteindre, est capable de continuer, sans plus souffrir, l’exercice qui lui a semblé impossible, de sauter, maintes et maintes fois, par dessus l’obstacle qu’il a pensé refuser. On arrive à s’insensibiliser.


J’éprouve un serrement de cœur, pourtant, lorsque, à chaque tour de piste, j’arrive devant la petite butte de gazon sur laquelle est monté le sergent de garde qui nous fait manœuvrer. Un homme est assis, au pied du tertre, son sac à terre, à côté de lui, son fusil entre les jambes. C’est Queslier.


Pauvre garçon ! Brave cœur ! Il y a longtemps qu’il souffre, déjà, car le climat meurtrier l’a anémié, car les tourments qu’on lui a fait endurer l’ont affaibli à tel point qu’il n’a pas pu continuer le peloton, ce matin, et qu’il a été forcé de se faire porter malade. On a été chercher le médecin-major.


Il arrive.