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— Quel tas de vaches ! me dit Acajou, le soir, quand nous rentrons sous notre tombeau, après avoir fait le peloton.


Il a raison, Acajou. Mais je n’ai plus que neuf mois à tirer, et je les défie bien de me faire faire un jour de plus.

— Ne défie personne, me souffle le factionnaire qui nous garde et qui m’a entendu. Craponi parlait de toi tout à l’heure, avec Norvi ; tu sais, le pied-de-banc qui vient de se rengager ?

J’insiste. Qu’ont-ils dit ?

— Presque rien. Norvi a touché sa prime de rengagement et veut aller la manger ― ou la boire ― à Tunis. Pour arriver à ce beau résultat, il faut qu’il fasse passer un homme au conseil de guerre.

— Et il a parlé de moi ?

— De toi et du Crocodile.

— Les canailles !

— Ils ne sont pas décidés. Ils vont jouer votre tête au piquet, en cent cinquante : Norvi joue pour le Crocodile et Craponi pour toi. J’ai entendu ça il y a cinq minutes, en passant devant leur baraque. Ils sont en train de jouer, à présent.

— Promène-toi encore, sans avoir l’air de rien, et tâche de savoir…


Un brusque éclat de voix me coupe la parole.

— Quinte et quatorze, quatre-vingt-quatorze ! j’ai gagné de trente !…

— C’est Craponi qui a gagné, me dit le factionnaire, qui pâlit.

Je ne pâlis peut-être pas ― je ne sais pas ― mais j’ai un petit tremblement nerveux.