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D’abord, je suis seul, ― tout seul. Je n’ai même pas ces compagnons qu’on appelle des souvenirs, ces remémorances qui font tressaillir et qui amènent, malgré lui parfois, la détente du sourire sur la face crispée de l’abandonné. Tous les jours de ma vie se sont engloutis les uns après les autres dans le même bourbier fangeux.

C’est ma faute, peut-être. J’ai mal fait, sans doute, de me dépouiller toujours de mes émotions et de les précipiter dans le puits où je les écoutais, penché en riant sur la margelle, rebondir le long des parois avant de crever la prunelle glauque du grand œil qui brillait au fond.

Je porte la peine de mon insensibilité voulue.


J’ai toujours été un replié et un rétif. Mon enfance n’a point été gaie.

Je n’ai jamais aimé ma famille où je n’avais trouvé que des sympathies insuffisantes, des effarouchements bébêtes et des défiances trop peu voilées. En butte aux animosités que j’avais excitées, profondément affecté par les injustices et plus encore par les mauvais traitements mérités, mais entêté comme un âne rouge, je lui ai fait une guerre sans merci, quitte à en souffrir moi-même, ― comme je crevais les encriers de plomb du collège, nerveusement, par besoin de nuire, au risque de me noircir les doigts.

Je lui en voulais moins de ses colères et de ses méchancetés que de ses ridicules et de ses tentatives de réconciliation. J’avais bien du mal, quelquefois, à résister à l’assaut des apitoiements bêtes, à me raidir contre la poussée des bons sentiments, ces béliers à têtes d’ânes des éducations idiotes qui battent en brèche les énergies, et avec lesquels on essayait de