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partir, n’est-ce pas, Queslier ? et joyeusement, encore ?

— Naturellement.

— Oui. Mais le colonel fait suivre sa lecture de ces quelques mots : « Que ceux qui veulent abandonner le drapeau, délaisser les intérêts supérieurs de la patrie, que ceux-là s’en aillent. Mais qu’ils restent, ceux qui ne veulent pas déserter le champ d’honneur, qui veulent rester fidèles au devoir militaire et bien mériter de leur pays ! » Alors, sur ces deux mille, sais-tu combien sortiront des rangs ? Cinquante, à peine ! Et si le colonel crie aux autres : « Fusillez-moi ces cinquante hommes ! » ce sera à qui, parmi les dix-neuf cent cinquante, se précipitera pour les coller au mur !

Queslier réfléchit un instant.

— Oui. C’est vrai. À moins que, sur les cinquante hommes, il ne s’en trouve un qui lève son fusil et envoie une balle dans la peau du colonel. Alors, tout le régiment partirait. Oui, il faudrait ça… c’est malheureux, pourtant !…


Peut-être. Mais à qui la faute si, aux yeux de la foule, le Droit lui-même doit chercher sa sanction dans la force ― la force inutile souvent, et bête quelquefois ? ― À qui la faute si le peuple ne comprend pas encore qu’on puisse imprimer le sceau de l’éternité, autrement qu’avec du sang, sur la face des révolutions ?

C’est l’aveuglement des peuples ― ces parias hébétés par la misère et l’ignorance, ces souffrants dont les passions ont toujours, au fond, quelque chose de religieux ― qui réclame de la foi révolutionnaire des sacrifices sanglants et des scapulaires rouges.