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— À qui le tour ?… C’est une histoire que vous voulez ? Eh bien ! je vais vous en raconter une. Elle est drôle ; vous allez voir. Et puis, c’est une histoire de voleurs, ça fera votre affaire. Écoutez :

« Il y avait une fois un juif arabe qui s’appelait Choumka. Il était de Karmouan, une grande ville dont vous devez avoir entendu parler, si vous ne la connaissez pas. C’était un de ces industriels comme vous avez pu en voir partout, surtout au commencement de l’expédition ; suivant les colonnes, se promenant dans les villes de garnison porteur d’un méchant éventaire, criant : « Grand bazar ! À la bon marché ! À la concurrence ! Kif-kif madame la France ! » vendant du papier à cigarettes, l’article de Paris, la goutte et l’épicerie ; ― la graine des mercantis, enfin, pelotant les soldats, les sous-officiers et les officiers, à mesure qu’ils avancent dans le commerce et devenant parfois fournisseurs des denrées d’ordinaire en même temps que procureurs pour les états-majors.

« En 1883, les fonctionnaires compétents de la subdivision de Jouffe et le général E… qui la commandait, devaient adjuger à un ou plusieurs particuliers la fourniture des subsistances et des moyens de transport pour tous les postes situés entre Jouffe et Karmouan, sur un parcours d’environ 150 kilomètres. Il y avait là des millions à extorquer à l’État. Les gros bonnets le comprirent bien et se demandèrent pourquoi ils ne s’adjugeraient pas à eux-mêmes cette entreprise à laquelle on pouvait ajouter, d’ailleurs, celle de toutes les fournitures militaires : viande, alfa, orge et fourrages. Il n’y avait qu’une difficulté : l’adjudication était publique et il était difficile d’être en même temps adjudicateur et adjudicataire. L’état-