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d’enlever un peu plus de terre ou d’aller vider quelques chignoles de plus, pourvu qu’il nous donne ses chansons. Un peu de gaîté fait oublier tant de choses ! Nous sommes si malheureux !


D’abord, nous crevons de faim. Depuis que je suis à El-Ksob, je n’ai pas fait encore un seul repas avec du pain. Ce sont des chameaux qui nous l’apportent d’Aïn-Halib, le pain, tous les deux jours, à onze heures. On se jette dessus, littéralement. À midi, je crois qu’il serait impossible de trouver, dans tout le camp, de quoi reconstituer la moitié d’une boule de son. En garder un peu pour manger avec les gamelles, ce n’est pas la peine d’y songer. D’abord, la faim fait taire la prévoyance ; elle a besoin d’être calmée immédiatement. Et puis, entre nous, nous nous volons les croûtes qui restent. On m’en a volé, j’en ai volé. La morale ? Les affamés s’assoient dessus.


Pendant une demi-heure, après la distribution du pain, on n’entend sous les marabouts qu’un grand bruit de mâchoires. Chacun, en silence, tortore son bricheton jusqu’à la dernière miette. Ce n’est pas long à avaler, les trois livres de gringle !

Ce qu’il y a de malheureux, c’est qu’il ne tient pas au corps, ce pain frais. Il s’en va avec une rapidité !… On a beau faire des efforts pour le conserver, c’est comme si l’on chantait.

— C’est la faute de cette cochonnerie d’eau que nous avalons, déclarent, en hochant douloureusement la tête, des désolés qui, une heure à peine après avoir briffé leur boule, reviennent d’un endroit écarté en boutonnant leurs pantalons.