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d’exciter le taureau et de le mettre en rage en le piquant d’aiguillons, sans que jamais la pointe acérée s’enfonce dans les chairs et fasse jaillir le sang.


Le chaouch, les dents serrées, reçoit, sans rien dire, les quolibets et les railleries qui le font blêmir et les offenses qui le font trembler de colère. D’une voix saccadée, il continue à commander du maniement d’armes, en espaçant les temps de plus en plus. Il a l’air d’attendre quelque chose qui ne vient pas, et il attend, en effet. Il sait que la comédie se termine parfois en drame, et qu’il suffit d’un instant d’oubli pour que l’un des malheureux qu’il esquinte laisse échapper une parole un peu trop vive ou une exclamation irréfléchie. Il sait que, vaincu par la fatigue, à bout de forces, l’un d’eux refusera peut-être de continuer le peloton. C’est le conseil de guerre : cinq ans, dix ans de prison dans le premier cas, deux dans le second. Alors, il se frottera les mains ; il pourra s’arracher, pendant quelque temps, au pays perdu où il exerce son ignoble métier ; comme témoin à charge, il accompagnera sa victime à Tunis, où siège le tribunal ; là, il pourra s’amuser. Et il oubliera, entre les bouteilles d’absinthe et les filles à quinze sous, le malheureux qui gémit dans une cellule, seul avec la vision terrible de sa vie brisée.

Combien en ai-je vu, déjà, de ces gradés, le lendemain d’un rengagement, exciter et provoquer odieusement des hommes, dans le dessein, s’ils arrivaient à les faire mettre en prévention de conseil de guerre, de les suivre comme témoins jusqu’à Tunis où ils pourront rigoler, au moins, en dépensant le montant de leur prime !