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s’échappent, souvent sans armes et sans vivres, du bagne intolérable ; malheureux dont quelques-uns ne reparaissent plus, mais dont le plus grand nombre est ramené par les gendarmes ou par des Arabes qui viennent toucher une prime. Je comprends qu’ils essayent, au risque de la mort ou du conseil de guerre, de se soustraire aux traitements qu’on leur fait endurer et de reconquérir la liberté dont on les a dépouillés sans motifs.

Et comment ne pas les excuser, quand on en voit d’autres, âmes sensibles ou cerveaux plus faibles, amenés au suicide par les brutalités et les injustices des tortionnaires galonnés ? Poussés à bout, désolés, désespérés, accablés de douleur et de souffrance, ils se voient acculés dans la mort. Ils s’aperçoivent peu à peu que la vie ne leur est plus supportable. Plongés dans une misère noire et livrés à la faim angoissante, dégoûtés de tout, ils ne considèrent plus l’existence que comme une longue suite de souffrances que leur continuité même doit accroître. De jour en jour, ils envisagent la mort de plus près ; elle ne leur fait plus peur. Et, un beau matin, appuyant un canon de fusil sous leur menton, ils se font sauter la cervelle.

Queslier avait bien raison de le dire : il faut avoir rudement envie de se tirer de là pour endurer tout cela patiemment… Moi aussi, j’ai songé au suicide ; moi aussi, j’ai pensé à la désertion.


— Tu es fou, m’a dit Queslier. Déserter, ici, ce n’est pas possible, ou du moins c’est bien difficile. Si tu es repris, tu rallonges ton congé de plusieurs années, et, tu ne l’ignores pas, tu as quatre-vingt-dix chances sur cent contre toi. Te tuer, ce serait peut-être un peu moins bête, mais je ne te conseillerai d’employer ce