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encore quatre, maintenant, au ravin, qui attendent le prochain convoi pour partir. Ils font exprès, entends-tu ? exprès. Ils aiment mieux rallonger leur congé que de continuer à mener une existence pareille. Et nous, nous qui ne sommes pas punis, tu ne peux te figurer combien nous sommes misérables, j’aimerais mieux ramer sur une galère que d’aller au travail avec les chaouchs qui nous mènent comme on ne mènerait pas des chiens. Les forçats, au bagne, sont certainement plus heureux. La nourriture ? Infecte. On crève littéralement de faim. Du pain que les mulets ne veulent pas manger ; des gamelles à moitié pleines d’un bouillon répugnant… Ah ! vrai, il faut avoir envie de s’en tirer, pour supporter tout ça sans rien dire…


Il n’a point exagéré ; je l’ai bien vu, le lendemain matin. Je n’aurais jamais imaginé qu’on pût traiter des hommes comme nous ont traités, au travail, revolver au poing, des chaouchs qui ne parlaient que de nous brûler la cervelle chaque fois que nous levions la tête. J’ai été terrifié, d’abord. Puis, j’ai compris qu’ils étaient dans leur rôle, ces garde-chiourmes, en nous torturant sans pitié ; j’ai compris qu’il n’y avait ni grâce à attendre d’eux ni grâce à leur faire, et que c’était une lutte terrible, une lutte de sauvages qui s’engageait entre eux et nous. La colère m’est montée au cerveau et a chassé la fièvre. Je suis fort, à présent, plus fort que je ne l’étais avant de tomber malade ; et gare au premier qui m’insultera, qui me cherchera une querelle d’Allemand, qui tentera de me marcher sur les pieds ! Je laisserai mûrir ma vengeance, moi aussi ; et, puisqu’on a le droit de m’injurier en plein soleil et de me menacer en plein jour,