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apparaissent toutes noires quand nous levons les yeux en haut, mais l’air est lourd ; on respire difficilement, la poitrine tendue violemment par le poids du sac dont les courroies coupent les épaules, la main gauche engourdie, la main droite fatiguée de tenir la bretelle du fusil dont la crosse frappe à chaque pas sur la cuisse, les oreilles agacées par le tintement du quart de fer blanc qui choque la poignée de la baïonnette. Les pas, alourdis par l’énorme poids du chargement et par la difficulté de cette marche de nuit dont les à-coups fatiguent et énervent, soulèvent une poussière dense qui remplit les narines et pique les yeux. On marche la bouche ouverte, le haut de la capote déboutonné, le mouchoir tout trempé à la main pour essuyer la sueur qui coule sur le visage, la respiration oppressée, avec la sensation d’une chaleur humide de cataplasme, dans le dos, à la place du sac.

Pendant près d’une heure et demie, nous allons ainsi, le képi en arrière, le cou tendu, la tête basse, sans rien voir que les troncs des palmiers qui se succèdent comme de hautes colonnes au-dessus des parapets de terre fleuris de branches d’arbustes aux odeurs fortes et derrière lesquels on entend de loin en loin le clapotement d’un ruisseau. Tout d’un coup, après un dernier détour de la route, le rideau sombre du feuillage se déchire, une longue plaine de sable jaune, rose tout au loin par les premiers rayons du jour, se déroule jusqu’au pied de montagnes bleues à la base et dont les sommets sont rouges.

On hâte le pas et, tout en débouchant dans la plaine, on entonne des chansons de marche ; les anciens entament le Chant des Camisards, un chant