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tendu faussement que l’individu en question l’avait insulté et ce lâche-là, auquel je casserais la gueule si je ne craignais qu’on ne me fît payer sa sale peau plus cher qu’elle ne vaut, a affirmé avoir entendu l’insulte. Il revient aujourd’hui de Tunis où il a servi de témoin à charge et a fait condamner l’autre à cinq ans de travaux publics. Quand on veut gagner une sortie, le plus simple est de faire comme lui. Maintenant, il y a encore un autre moyen.

— Quel moyen ?

— Lécher les pieds des gradés, se mettre à genoux devant eux. Ça, c’est moins difficile, mais, c’est égal, je n’ai jamais pu m’y habituer.

Et Queslier s’allonge sur sa natte.


Je réfléchis longtemps. Oui, c’est dégoûtant, c’est odieux, de faire partie de cette bande de chiens-couchants qui s’en vont, l’oreille basse et la queue en trompette, flatter leurs maîtres et lécher les mains de leurs bourreaux ; mais passer trois années ici, dans ce bagne, dans un pareil milieu !… C’est l’abrutissement, sans doute ; la mort, peut-être…. En aurai-je la force, seulement ? Aurai-je la force de recommencer, sans paix ni trêve, des journées comme celle que je viens de finir ? Aurai-je le courage de souffrir, pendant trois ans, tout seul, sans personne pour me soutenir, ― sans personne pour me regarder, ― avec le fantôme de la liberté future qui fuira devant moi et le spectre de la liberté passée qui, déjà, grimace douloureusement ?…

Me mettre à plat ventre dans la boue, alors ? Payer ma délivrance avec la sale monnaie qui a cours ici, ramasser ma grâce dans l’ordure ?… Ah ! malheureux !…