Page:Darboy - Œuvres de saint Denys l’Aréopagite.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
cxlviii
INTRODUCTION.

tivement considérée ; mais, dans le théologien, si parfois elles se rencontrent heureusement alliées, souvent aussi l’une ou l’autre prédomine ou même règne exclusivement. Ainsi, dans le moyen âge, à une époque donnée et chez quelques hommes, la tendance intellectuelle fut victorieuse ; plus tard et chez d’autres hommes, la tendance morale l’emporta : entre ces deux triomphes solennels et en quelques âmes d’élite, l’harmonie, une savante et douce harmonie s’établit. La scholastique pure et le mysticisme eurent tour à tour leur temps et leurs adeptes.

Il s’agit maintenant de rechercher et de faire connaître si les œuvres de saint Denys ont déterminé, et jusqu’à quel point elles ont réglé cette double direction de la théologie.

D’abord si la scholastique subit l’influence de l’Aréopagite, c’est plutôt dans les solutions qu’elle donna que dans la forme dont elle les revêtit ; c’est aussi plutôt dans la généralité de ses théories que dans les questions particulières.

Reprenons. La science, comme elle était conçue et enseignée alors, aspirait à tout embrasser dans une vaste étreinte. Les livres de ce temps apparaissent comme des encyclopédies, et les hommes qui les écrivaient, comme des géants. Cet esprit d’universalité s’est personnifié plus complètement dans Albert, nommé Grand par ses contemporains stupéfaits. Il connut la théologie, la morale, la politique, les mathématiques, la physique ; il s’occupa d’alchimie et même de magie, disent les chroniques du temps[1]. Malgré cette dispersion de forces, qui semblait devoir affaiblir l’énergie des intelligences, on put encore porter une curiosité âpre et une infatigable ardeur dans quelques questions de détail : une querelle où peut-être on ne vit d’abord qu’une bataille de mots, mais où se trouve véritablement impliquée la valeur objective de

  1. Les œuvres d’Albert-le-Grand ont été recueillies par le dominicain Jammi, en 21 vol. in-folio ; mais elles sont loin d’être complètes, comme on peut le voir dans les Scriptores ordinis Prœdicatorum, t. I.