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CHANT TREIZIÈME

toujours été irréprochable, me rendit injuste envers moi-même. Je crus, dans mes dédains, que la mort mettrait fin à mes disgrâces. Au nom des racines récentes de cet arbre, je vous jure que jamais je ne manquai de foi à mon maître, qui était un si vertueux souverain. Si l’un de vous retourne au monde, qu’il daigne donc rendre quelque honneur à ma mémoire, qui souffre encore des coups que lui a portés l’envie. »

Le poète attendit un moment pour savoir si le tronc parlerait encore, et me dit : « Ne perdons pas de temps ; interroge-le, si tu veux entendre de sa bouche quelque autre révélation. » Je répondis au poète : « Demande-lui toi-même ce qui peut m’intéresser. Je ne pourrais lui adresser de nouvelles questions, tant mon cœur est brisé par la pitié. »

Le Mantouan recommença en ces termes : « Que mon compagnon fasse avec empressement ce que tu désires, ombre emprisonnée sous ce tronc ! mais dis-nous comment l’âme entre dans ces nœuds ; et, s’il est possible, dis-nous également si jamais quelque esprit se dégage d’un semblable corps. » Le tronc souffla fortement, et son souffle produisit ces paroles : « En peu de temps vous aurez entendu ma réponse. Quand une âme féroce sort du corps dont elle se sépare volontairement, Minos la précipite au septième cercle ; elle tombe alors dans la forêt ; là où le sort la jette, elle germe comme une semence ; elle s’élève d’abord en plante, ensuite en arbre. Les harpies, se nourrissant de ses feuilles, excitent en elle une douleur aiguë, et provoquent des cris lamentables qui s’échappent par ses blessures. Comme les autres âmes, nous serons appelées pour recueillir nos dépouilles, mais sans obtenir de nous en revêtir une autre fois. Il n’est pas juste que l’homme reprenne ce qu’il s’est ravi à lui-même. Nous en traînerons ici les lambeaux ; et nos corps, exilés dans la forêt ténébreuse, retourneront se suspendre aux rameaux de l’arbre, demeure éternelle de notre âme tourmentée. »

Nous écoutions encore, croyant que le corps allait continuer de parler, lorsque nous fûmes distraits par un bruit semblable à celui qui attire l’attention du chasseur, quand, au milieu du frémissement de l’air et des feuilles, il entend venir à lui le sanglier et les chiens qui le poursuivent. Nous vîmes, sur la gauche, deux infortunés nus et déchirés, fuyant à travers la forêt dont ils rompaient tous les jeunes branchages. Celui qui était devant, criait : « Ô mort ! accours, accours à mon aide. » L’autre, qui gémissait de ne pas fuir assez vite, criait : « Ô Lano ! ta course n’était pas si légère au combat de la Pieve del Toppo. » Ensuite, sans doute hors