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rivage de l’Indus, et là personne ne parle du Christ, ne lit les livres sacrés, et n’écrit sur la religion.

« Toutes les volontés de cet homme sont bonnes, quant à la morale, et il ne pêche ni en actions, ni en paroles : il meurt cependant sans connaître la foi et sans baptême : où est cette justice qui le condamne ? où est sa faute, s’il ne croit pas ? — Mais toi, qui es-tu, pour t’ériger en tribunal, et juger à mille milles de distance, avec une vue longue d’un empan ?

« On pourrait me présenter des raisonnements aussi subtils, si la Sainte Écriture n’était pas au-dessus de telles propositions. Ô animaux faits pour vivre sur la terre ! ô esprits épais ! la première volonté, qui est bonne par soi, ne s’éloigne jamais d’elle-même qui est le souverain bien ; tout ce qui est en harmonie avec elle est juste : un bien créé ne la tire pas à lui, c’est elle qui le confond dans l’immensité de ses rayons. »

De même que la cigogne tourne autour du nid, lorsqu’elle a donné la pâture à ses petits, et que celui qui est rassasié regarde sa mère, ainsi l’aigle commença à tourner sur lui-même, et moi, je levai les yeux.

L’image bénie battait des ailes, chantait en tournant avec ses esprits sacrés, et disait : « Le jugement éternel est pour vous autres mortels ce que les paroles que je prononce sont pour toi qui ne les comprends pas. »

Et les saints embrasements continuaient à jeter des éclairs de l’Esprit-Saint, dans ce signe qui rendit les Romains si redoutables à l’univers. L’aigle recommença en ces termes : « Ce royaume n’a jamais été ouvert à celui qui n’a pas cru au Christ avant qu’il vint au monde, ou après qu’on l’eut cloué à la croix. Mais, vois, beaucoup crient, ô Christ, ô Christ ! qui seront plus éloignés de lui que tel qui ne connut pas le Christ.

« L’Éthiopie condamnera de tels chrétiens, lorsque sera venu le jour où on les divisera en deux collèges, l’un destiné éternellement à la richesse, et l’autre à la misère.

« Que ne pourront pas dire à vos rois les Persans, lorsqu’ils verront s’ouvrir ce livre où les fautes de ceux-là sont écrites ! Là, on verra surtout dans la vie d’Albert cette action coupable qui fera ravager le royaume de Prague. Là, on verra la douleur que fit éprouver sur les bords de la Seine, en falsifiant la monnaie, celui qui mourra heurté par un pourceau. Là, on verra cet orgueil avide qui déshonore l’Anglais et l’Écossais, et ne leur permet de se contenter de leurs confins. Là, on connaîtra la luxure de cet Espagnol, et la vie efféminée de celui de Bohême, qui n’eut jamais de courage et ne voulut jamais en avoir.