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vous dirigez vos pensées vers la vanité en renonçant à une félicité si parfaite !

Et voilà qu’une autre de ces lumières était venue vers moi : s’étant approchée en étincelant, elle me montra qu’elle avait l’intention de m’être agréable.

Je remarquai en même temps que les yeux de Béatrix, qu’elle fixait sur moi, comme auparavant, assuraient à mon désir un doux assentiment.

Je lui dis : « Âme bienheureuse, satisfais ma volonté, et prouve-moi que tu peux la contenter sans que je te l’explique. »

Alors cette lumière qui de loin proférait ses chants et que je ne connaissais pas encore, commença ainsi, d’un ton qui annonçait de la complaisance : « Dans cette partie de la coupable Italie, située entre Rialto et les sources de la Brenta et de la Piave, s’élève une petite colline d’où descendit le fléau qui désola cette contrée. Je naquis comme lui sur cette colline. On m’appelait Cunizza, et je brille ici, parce que j’ai été vaincue par l’influence de l’étoile où tu me trouves.

« Mais mon sort n’a rien de pénible pour moi, et je ne me repens d’aucune de mes actions ; ce qui pourra sembler étonnant à votre vulgaire. Cet autre joyau brillant et précieux de notre ciel qui est près de moi, a laissé sur la terre une grande renommée, et avant que sa gloire finisse, ce siècle se multipliera cinq fois.

« Vois donc si l’homme ne doit pas être vertueux, puisque la première vie doit être suivie d’une bien autre vie. On ne pense pas ainsi chez les peuples qui habitent entre le Tagliamento et l’Adige ; et quoique sévèrement punis, ils n’ont pas de repentir.

« Mais bientôt les Padouans, qui répugnent à remplir leurs devoirs, changeront la couleur des eaux qui baignent Vicence. Celui qui règne là où le Sile et le Cagnan se confondent ensemble, porte la tête haute, et ne voit pas qu’on prépare une étoile pour l’y envelopper. Feltre pleurera la déloyauté de son évêque tellement impitoyable, que pour une semblable perfidie, on ne sera jamais entré à Malta. Ce prêtre courtois pour appuyer son parti livrera tant de sang ferrarais, qu’il faudrait un trop immense vase pour le contenir, et qu’il serait promptement fatigué l’homme qui voudrait le peser once à once : mais des mœurs du pays, on doit attendre de tels présents.

« Au-dessus de nous, les êtres que vous appelez trônes, sont des miroirs qui réfléchissent les jugements de Dieu. Ajoute donc foi à toutes mes paroles. »