Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« S’il n’y a de véritable violence que lorsque la victime qui souffre n’accorde rien à celui qui veut la contraindre, ces âmes ne peuvent apporter aucune excuse. On ne peut éteindre une volonté qui résiste ; elle est comme le feu, qui revient toujours à sa tendance naturelle, quoique mille fois on lui oppose des obstacles. Si la volonté se plie, ou peu, ou beaucoup, alors il semble qu’on cède à la violence.

« Ces ombres ont agi ainsi, puisqu’elles pouvaient retourner à leur sainte demeure. Suppose leur volonté entière, comme celle de Laurent sur le gril, ou celle de Mucius, si sévère pour sa propre main, cette volonté les aurait ramenées, au premier moment de liberté, dans le chemin dont elles avaient été détournées ; mais un caractère aussi énergique est trop rare.

« Cette explication, si tu l’as bien saisie, doit détruire l’argument qui t’aurait encore plusieurs fois embarrassé.

« Un autre doute vient à la traverse dans ton esprit, et tu n’en pourrais sortir seul sans une grande fatigue. Je t’ai appris qu’une âme bienheureuse ne pouvait mentir, parce qu’elle était sans cesse auprès de la source de la vérité. Constance a conservé l’affection du voile, suivant ce que t’a dit Piccarda : il semble donc qu’il y ait entre elle et moi quelque contradiction. Frère, il arrive souvent que pour fuir un danger, on fait, contre son gré, ce qu’il ne convient pas de faire, comme Alcméon qui, sur la prière de son père, tua sa propre mère, et se montra coupable d’impiété pour ne pas méconnaître la piété.

« À cet égard, je veux que tu observes que la volonté, si elle se prête à la force, ne permet plus d’excuser les offenses. La volonté, quand elle est absolue, ne consent pas au mal ; elle y consent, en tant qu’elle craint que, par des résistances, elle ne se prépare plus d’affliction. Quand Piccarda s’exprime comme elle l’a fait, elle entend parler de la volonté absolue, et moi j’entends parler de l’autre volonté. Toutes deux nous disons vrai. »

Tels furent les flots du fleuve sacré, qui jaillirent de la source d’où émane toute vérité ; et ainsi mes doutes furent éclaircis.

« Ô amante du premier amant ! ô divinité, m’écriai-je, dont l’éloquence m’inonde et me remplit du plus ardent enthousiasme, mon affection n’est pas si profonde qu’elle puisse te rendre grâce pour grâce ! Que celui qui voit et qui peut, réponde pour moi ! Je vois bien que notre entendement n’est jamais satisfait, s’il n’est éclairé de la vérité, hors de laquelle ne s’étend aucune autre vérité : lorsqu’il l’a découverte, et qu’il peut l’attein-