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les flammes ; ne soyez pas sourds à la voix que vous allez entendre plus loin. »

Ces paroles me glacèrent de terreur, et je devins froid comme celui qui va être déposé dans la terre. Je levai mes deux mains en signe d’étonnement, regardant ces flammes, et me rappelant vivement les corps humains que j’avais vus condamnés au supplice du feu. Mes bons guides se tournèrent vers moi, et Virgile me dit : « Mon fils, ici l’on peut souffrir un tourment et non pas la mort. Souviens-toi, souviens toi : si je sus garantir ta vie sur les épaules de Géryon, que ne ferai-je pas maintenant que je suis près de Dieu ! Tiens pour certain que si tu étais mille années dans ces flammes, tu ne sentirais pas brûler un de tes cheveux ; et si tu crois que je te trompe, assure-t’en toi-même en approchant de ce feu un pan de ton vêtement. Dépose désormais, dépose toute crainte : tourne par ici, et continue ta route avec sécurité. »

Mais je me tenais immobile, malgré ce que me prescrivait ma conscience. Quand Virgile vit que j’étais ainsi arrêté avec une sorte d’obstination, il se troubla un peu, et dit : « Mon fils, entre Béatrix et toi, il n’est que cette muraille. »

De même qu’au nom de Thisbé, Pyrame, prêt à mourir, ouvrit les yeux, et la regarda sous le mûrier, qui depuis produisit des fruits noirs, de même ma dureté étant vaincue, je me tournai vers mon sage maître, en entendant ce nom qui domine toujours dans mon cœur ; alors il remua la tête, et dit : « Eh bien ! voulons-nous donc demeurer ici ? » Ensuite il me sourit comme on fait à un enfant qu’a vaincu l’offre d’un fruit.

Mon guide me précéda pour entrer dans le feu, en priant Stace, qui avait toujours marché avant moi, de me suivre à son tour. Quand je fus au milieu de ces flammes, je me serais jeté, pour me rafraîchir, dans une chaudière de verre bouillant, tant la chaleur était démesurée. Pour me donner du courage, mon père chéri me parlait de Béatrix en marchant, et me disait : « Il me semble déjà voir ses yeux ! »

Nous étions guidés par une voix qui chantait ; en la suivant, nous sortîmes des flammes, et nous arrivâmes là où l’on montait encore. Il partit d’une lumière voisine, que je ne pus regarder fixement, une voix qui dit : « Accourez, les bénis de mon père. » La même voix continua ainsi : « Le soleil va disparaître ; le soir approche ; ne vous arrêtez pas ; regardez bien votre chemin avant que l’Occident soit plongé dans les ténèbres. »

Le sentier montait droit devant nous : mon ombre, formée par le soleil