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« La volonté seule donne un indice certain de la purification. Cette volonté toute libre pousse l’âme à changer de séjour, et lui suffit pour obtenir cette faveur. D’abord l’âme est bien animée par ce désir, mais une inclination divine combat, dans le supplice, ce désir trop prompt, comme la céleste justice faisait combattre le péché par le remords. Moi qui suis resté étendu, et exposé à ces douleurs, pendant cinq siècles, je n’ai senti qu’à cet instant même une volonté efficace d’atteindre à un empire plus heureux. Tu as entendu un tremblement de terre, et les pieux esprits ont glorifié le Seigneur, pour qu’il les admît bientôt au sein de ses voluptés célestes. »

L’ombre cessa de parler. Comme on a d’autant plus de plaisir à se désaltérer, qu’on ressent davantage la soif, je ne saurais exprimer toute la satisfaction que me donna cette explication.

Mon sage guide prit alors la parole et dit : « Je vois quel est le filet qui vous enveloppe ici, et comment on le déroule, et pourquoi la montagne a éprouvé une secousse dont les autres se sont réjouis. Maintenant fais-moi connaître qui tu es, et pourquoi tu es resté ici pendant tant de siècles. »

L’ombre prit ainsi la parole : « Dans le temps où le bienfaisant Titus, avec l’aide du roi des rois, vengea la blessure dont sortit le sang vendu par Judas, je portais sur la terre ce titre qui dure et qui honore le plus. Je me voyais assez célèbre, mais je n’étais pas éclairé par la Foi. Mes accents furent si doux, que, de Toulouse, Rome m’attira dans son sein, où mon front fut orné de myrte. Les peuples m’appellent encore là du nom de Stace. Je chantai Thèbes et le grand Achille ; mais je tombai sur le chemin, avec le second fardeau. Mon ardeur s’embrasa à cette divine flamme où tant d’hommes illustres ont puisé leur génie. Je parle de l’Énéide qui fut ma mère et ma tendre nourrice en poésie. Je n’osai jamais faire un pas sans son appui, et j’achèterais une année de plus dans cet exil le bonheur d’avoir vécu dans le même temps que le chantre d’Énée. »

À ces mots, le sage Romain me regarda d’un air qui semblait me recommander le silence. Mais la puissance qui s’appelle volonté ne peut pas tout : le rire et les pleurs suivent de si près la passion à laquelle on est livré ! Ils se manifestent dans ceux qui ont un cœur franc et sincère. Je souris comme l’homme qui indique une chose sans parler ; alors l’ombre se tut et me regarda dans les yeux, que l’on dit être le miroir de la pensée. Elle dit : « Puisses-tu achever heureusement ta glorieuse entre-