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CHANT NEUVIÈME

guide, et lorsque nous eûmes fait quelque chemin, d’un pied plus léger : « Porte tes yeux en bas, me dit-il ; il sera bon que, pour alléger la fatigue du voyage, tu considères le lit de tes pas. »

De même que les tombeaux offrent des inscriptions où l’on peut lire ce qu’étaient dans leur vie ceux qui y furent déposés (inscriptions qui n’impriment l’aiguillon du souvenir que chez les hommes reconnaissants), de même la route était couverte de figures sculptées avec goût. On voyait d’un côté celui qui, créé plus noble qu’aucune autre créature, fut précipité du ciel au milieu des éclats du tonnerre ; de l’autre on voyait Briarée atteint d’un trait lancé par des mains divines, étendu sur la terre que les glaces de cette mort accablent de douleur.

On voyait Thymbrée, Pallas et Mars armés, autour de leur père, et contemplant les membres épars des géants écrasés. On voyait Nembrot au pied de sa tour insensée, hors de lui, et regardant, plein de dépit, les nations qui l’accompagnaient dans la contrée de Sennaar. Ô Niobé, quelle douleur altérait ton visage, lorsque je t’aperçus sur ce funeste chemin, entourée de tes sept et sept enfants frappés du trépas ! Ô Saül, tu languissais sans vie, percé de ta propre épée, sur le mont Gelboë que ne fécondèrent plus ni les rosées ni les pluies ! Ô folle Arachné, je te voyais déjà à moitié araignée, triste et gémissant sur les débris de la toile qui fit ton malheur !

Ô Roboam, tes traits ici n’ont rien de menaçant ; mais, rempli d’effroi, tu t’enfuis sur un char avant d’être chassé par la fureur populaire ! Le sol montrait encore comment Alcméon fit payer à sa mère son orgueilleuse parure, et plus loin comment les fils de Sennachérib se précipitèrent sur lui dans le temple, et l’y massacrèrent sans pitié. On distinguait la scène cruelle de Tomyris qui disait à Cyrus : « Tu as eu soif de sang, et je t’emplis de sang. »

Plus loin, les Assyriens fuyaient honteusement, après la mort d’Holopherne, et l’on reconnaissait encore les preuves du meurtre. On voyait Troie en ruines et en cendres. Ô Ilion, comme celui qui avait figuré tes remparts te montrait désolé et avili ! Il fut un dessinateur exact et un coloriste habile, celui qui traça les ombres et les poses de ces scènes que le génie le plus profond n’aurait pu considérer sans un sentiment d’admiration.

Les morts paraissaient morts, les vivants paraissaient vivants. L’homme qui fut témoin de ces événements ne les connut pas mieux que je ne les