Page:Dante - La Divine Comédie (trad. Artaud de Montor).djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reconnaissance singulière que t’inspire celui qui cache à nos yeux son premier pourquoi, quand tu seras au delà des ondes de ce vaste Océan, dis à Jeanne, ma fille, de prier pour moi à ce divin tribunal où l’on ne répond qu’aux cœurs innocents. Je ne crois pas que sa mère m’aime encore, puisqu’elle a quitté les voiles blancs ; mais elle doit les regretter dans son malheur actuel : sa conduite fait aisément comprendre quelle durée peut peut avoir le feu d’amour dans le cœur d’une femme, si la présence et les caresses de son époux ne viennent souvent le rallumer. La vipère qui forme l’écusson des Milanais n’ordonnera pas pour elle d’aussi belles funérailles que celles qu’elle aurait dues au coq de Gallura. » Il parlait ainsi, non par haine, mais par l’effet d’un zèle sage et discret. Mes yeux avides se fixaient sur le ciel, mais là seulement où les astres ont un cours plus ralenti, comme les parties de la roue qui sont le plus près de l’essieu. Mon guide me dit : « Ô mon fils, que regardes-tu ? — Je contemple, lui répondis-je, ces trois flambeaux qui de ce côté embrasent le pôle dans toute son étendue. — Les quatre étoiles éclatantes, reprit-il, que tu as vues ce matin sont maintenant sous l’hémisphère, dans la partie où se trouvaient ces flambeaux. » À peine eut-il parlé, que Sordello le tira à lui en disant : « Vois-tu là notre adversaire ? » En même temps il le lui montra du doigt. Dans la partie de la vallée opposée à la montagne, on apercevait en effet un serpent, le même peut-être qui présentait à la première femme le fruit amer. À travers l’herbe et les fleurs, l’animal venimeux s’avançait en rampant, montrant tantôt sa tête, tantôt les écailles de son dos, et se léchant comme une bête qui se lisse. Je ne vis pas et je ne puis pas dire comment les autours célestiaux se mirent en mouvement, mais je les vis tous deux s’élancer dans les airs : le serpent prit la fuite, en entendant le murmure des ailes verdoyantes, et les anges retournèrent en même temps à leur place première. L’ombre qui s’était approchée du juge, sur son invitation, n’avait pas cessé de me regarder pendant tout le temps qu’avait duré cet assaut, et elle me parla ainsi : « Que le divin flambeau qui te guide vers le ciel trouve en toi l’aliment nécessaire pour atteindre l’azur de la béatitude ! Si tu sais quelques nouvelles vraies de Val-di-Magra ou des contrées voisines, apprends-les-moi. Je fus le maître dans ce pays ; on m’appela Conrad Malaspina. Je ne suis pas l’ancien de ce nom, mais un de ses descendants. Je portais aux miens un amour qui se purifie dans ce lieu. — Je n’ai jamais parcouru vos États, répondis-je ; mais quel est le lieu de l’Europe où n’en est pas répandue la gloire ? La renommée qui honore votre maison