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CHANT QUATRIÈME

cette vérité par une expérience exacte, en écoutant parler Mainfroy ; je m’étonnai que le soleil eût parcouru cinquante degrés sans que je m’en fusse aperçu. Nous arrivâmes bientôt à un point où les âmes crièrent ensemble : « Voilà l’objet de vos demandes. »

Le sentier que l’habitant de la villa cache souvent avec un fagot d’épines, lorsque le raisin commence à mûrir, offre un accès beaucoup plus facile et plus large que celui où nous nous engageâmes seuls, mon guide et moi, quand la foule des âmes nous eut quittés. On pénètre à San Leo, on peut descendre à Noli ; on monte avec le secours de ses pieds jusqu’au sommet de Bismantua : mais ici il fallait voler avec les ailes légères du vif désir, sous la conduite de celui qui m’encourageait et m’enseignait le chemin.

Nous gravissions le sentier taillé dans le roc, serrés par ses deux étroites parois : l’âpreté du sol nous forçait à nous aider des pieds et des mains. Quand nous fûmes arrivés à la partie supérieure du sentier, je m’écriai : « Eh bien ! mon maître, que ferons-nous ? » Il répondit : « Ne va pas en arrière, continue d’avancer jusqu’à ce que nous trouvions quelque ombre qui sache nous guider. » Le sommet était si orgueilleux, que la vue ne pouvait pas le vaincre, et la côte était plus rapide que la ligne qui va de la moitié du quadrant au centre. J’étais déjà harassé de fatigue : « Ô père chéri ! dis-je alors, tourne-toi, et vois que je vais rester seul si tu ne t’arrêtes pas un instant. — Mon fils, tâche de te traîner jusqu’ici, » répondit-il en me montrant au-dessus de nous une plate-forme qui se prolongeait autour du mont.

Ces paroles me donnèrent un tel courage, que je fis de nouveaux efforts, et, en rampant péniblement pour suivre mon guide, j’arrivai au point où elle se trouva sous mes pieds. Nous nous assîmes un moment en nous tournant vers le levant, en face du sentier par lequel nous étions montés, car le voyageur aime à ramener ses regards sur le chemin qu’il vient de parcourir. Je baissai d’abord les yeux, ensuite je les élevai vers le soleil, et je m’étonnai de voir ses rayons me frapper à gauche. Le poète remarqua bientôt que je contemplais avec étonnement le char de la lumière placé entre nous et les lieux d’où souffle l’aquilon. Il me dit alors : « Si Castor et Pollux accompagnaient cet astre, qui répand son éclat dans les deux hémisphères, tu verrais le zodiaque plus lumineux graviter plus près des Ourses, surtout s’il ne sortait pas du chemin qu’il s’est tracé jusqu’ici.

Quoi qu’il en soit, en te renfermant attentivement en toi-même, figure-toi que Sion et cette montagne ont le même horizon dans différents hémis-