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CHANT VINGT ET UNIÈME

sur celui de la sixième vallée, qu’il eut besoin de s’armer d’un nouveau courage.

Comme des dogues furieux attaquent le pauvre qui demande, sur-le-champ, quelque secours, là où il s’arrête, les démons sortirent avec impétuosité de l’arche du cinquième pont, et menacèrent mon guide de leurs fourches aiguës. Il leur cria : « Arrêtez, qu’aucun de vous ne soit félon ! Avant de me repousser avec ces fourches, envoyez un des vôtres pour qu’il m’entende ; il saura bientôt s’il peut me gaffer. » Tous criaient : « Malacoda, va lui parler. » Puis ils s’arrêtèrent : un seul s’avança en disant : « Que veux-tu ? — Crois-tu, Malacoda, reprit mon maître, que je serais arrivé ici sans craindre votre fureur, si la divine volonté et un destin bienfaisant ne m’eussent protégé ? Laisse-moi poursuivre mon voyage. Dans le ciel il est voulu que je serve de guide à un autre, à travers ces sentiers sauvages. » Alors céda l’orgueil du démon : sa fourche tomba à ses pieds, et il dit à ses compagnons : « Qu’il ne soit pas repoussé ! » En ce moment mon guide me parla ainsi : « Ô toi, qui te tiens caché et tapi dans un enfoncement de ce pont, viens à moi sans rien craindre ! » Je lui obéis sur-le-champ ; mais les démons s’avancèrent tous à la fois, et je tremblais qu’ils ne fussent parjures.

C’est ainsi que ces guerriers sortis de Caprone sur la foi d’un traité, craignirent pour leur vie, au milieu des rangs d’ennemis si acharnés. Je m’approchai très près de mon guide, sans cesser d’observer les mouvements des démons dont les regards expriment tant la perfidie ; ils abaissaient leurs crocs. « Veux-tu, disait un d’eux à son compagnon, veux-tu que je le harponne par la croupe ? — Oui, répétaient-ils tous à la fois, frappe-le ! qu’il sente ta fourche ! » Mais le chef, qui s’entretenait avec mon guide, se tourna et dit : « Doucement, doucement, Scarmiglione. » Il ajouta, en nous regardant : « Vous autres, vous ne pouvez pas avancer d’avantage, parce que le sixième pont s’est écroulé vers le fond de la vallée ; mais, si vous voulez pénétrer plus avant, marchez sur ce bord qui divise les enceintes. Plus loin vous trouverez un autre pont que vous traverserez. Hier, douze cent soixante-six ans, moins cinq heures, s’étaient écoulés depuis que ce chemin a été rompu.

« J’envoie là plusieurs des miens pour voir si quelque coupable ne s’expose pas à élever sa tête. Marchez avec eux, ils ne vous feront aucun mal. Partez, au nom de dix, Alichino, Calcabrina et Cagnazzo ; suivez, Libicocco, Draghinazzo, Ciriatto à la défense meurtrière, Graffiacane,