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L’ENFER

qui serpente à travers de frais pâturages ; il s’appelle alors le Mincio, et non plus Bénaco, jusqu’à Governo, où il se jette dans l’Éridan.

« À peu de distance, il trouve une vallée où il s’étend et forme un marais malsain dans les ardeurs de l’été. La vierge sévère, arrivée en ce lieu, vit cette terre inhospitalière dépourvue d’habitants : c’est là que, pour fuir toute société humaine, elle fixa son séjour avec ceux qui l’avaient suivie, qu’elle exerça son art magique, et qu’elle laissa son corps privé de son âme. Les hommes dispersés dans les environs, alors attirés par la protection qu’assurait ce marais immense, fréquentèrent ce lieu : ils bâtirent une ville sur le tombeau de la fille de Tirésias, et sans consulter autrement le sort, ils appelèrent cette ville Mantoue, du nom de celle qui, la première, y avait établi son séjour.

« Cette ville était plus florissante avant que la duplicité de Pinamonte se fût jouée de la crédulité des Casalodi. Je t’ai parlé ainsi, pour que tu puisses opposer la vérité au mensonge, si jamais tu entendais attribuer une autre origine à ma patrie. »

Je répondis : « Ô maître ! la clarté de tes paroles excite tellement ma confiance, que celles des autres seraient pour moi des charbons éteints. Dis maintenant si, dans cette foule qui s’avance, tu vois des ombres dignes d’être remarquées : mon esprit n’est plus occupé que de ce soin. » Mon guide reprit ainsi : « Celui dont la barbe épaisse retombe sur ses épaules rembrunies fut augure et se joignit à Calchas en Aulide, pour couper le premier câble des vaisseaux du port, lorsque la Grèce fut si épuisée d’hommes, qu’à peine les plus jeunes fils des guerriers restèrent dans leurs berceaux : il s’appela Eurypile ; ma haute tragédie le nomme ainsi dans une de ses parties : tu dois te le rappeler, toi qui la sais tout entière.

« Cet autre, dont les flancs sont si décharnés, fut Michel Scot, qui connut le jeu des impostures de la magie. Tu vois Guido Bonatti, tu vois Asdent, qui se repent trop tard d’avoir abandonné son cuir et son ligneul ; tu vois ces femmes malheureuses qui laissèrent l’aiguille, la navette et le fuseau, pour étudier l’art de deviner, à l’aide des herbes ou des images de cire.

« Mais viens maintenant : déjà l’astre où le peuple croit apercevoir Caïn et ses épines paraît à l’horizon, et touche la mer sous Séville. Hier, cet astre brillait de toute sa clarté. Tu dois te rappeler que, dans la forêt où je te trouvai engagé, sa lumière ne t’a pas nui. »

Mon guide me parlait en ces termes, et nous continuions d’avancer.