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La belle découverte que vous faites là ! C’eſt comme ſi vous diſiez : la raiſon qui nous fait trouver un tableau admirable eſt en nous & non pas dans le tableau. Il faut avoir des yeux pour pouvoir l’admirer : car ſans yeux on ne l’admirera pas, de même il faut avoir un cœur pour ſentir & apprécier la Vertu, car ſans un cœur ſenſible & dispoſé à la trouver belle, on en feroit en vain le portrait le plus flatteur & le plus flatté.

Le grave Muralt ni vous n’avez entendu ſelon moi ce paſſage d’Ariſtote. Comedia enim deteriores, Tragedia meliores quam nunc ſunt imitari conantur.

Voilà comme je crois qu’il doit être expliqué & entendu, car la Tragédie doit repréſenter les hommes comme meilleurs, & la Comédie comme plus vicieux qu’ils ne ſont ordinairement, ou qu’ils ne le ſeroient dans le tems préfixe qu’ils occupent la ſcene. C’eſt un précepte par lequel Ariſtote prescrit aux Auteurs Dramatiques de préférer la vraiſemblance à la vérité, & c’eſt la même choſe que je vous ai dit ci-deſſus. Deteriores, ou Meliores n’expriment que la charge que l’on doit donner aux caracteres pour les faire resſortir d’avantage. Si l’on peint un vicieux, on doit multiplier hic & nunc les ſituations les plus capables de faire ſortir ſon caractere & de le rendre odieux, ſic nunc deterior erit. On doit faire la même choſe par raport aux Héros qu’on veut repréſenter & leur faire faire dans l’espace de tems qu’ils ſont en ſcene,