Page:Dancourt - À Mr. J. J. Rousseau, 1759.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui craignent le plus de ſe faire des ennemis perſonnels. Il eſt donc certain que ces braves gens ſeroient les premiers à applaudir cette piéce & à ſaiſir des argumens ſolides qui feroient céder le préjugé au bon ſens & à la raiſon ; mais ſi l’homme que vous dites, ne juſtifie pas qu’il a de la valeur & qu’il pourroit même entreprendre ſa vengeance avec ſuccès, que c’eſt la ſeule raiſon qui lui retient le bras, vôtre homme déplaira certainement parce qu’il paroîtra lâche & que la lâcheté eſt légitimement odieuſe. S’il n’y avoit point de lâches il n’y auroit point de Spadaſſins, car ces derniers ſavent bien que toute leur capacité ne les tireroit pas d’affaire vis-à-vis d’un brave homme, ſi dès la première affaire qu’ils ont, ils couroient risque de la vie, ils ſeroient ſurement moins téméraires dans la ſuite & réſerveroient pour l’État cette bravoure impertinente qui ne ſert qu’à les faire haïr & mépriſer des gens ſages & modérés. La plus part des gens de cette eſpece, ne font d’ailleurs uſage de leur adreſſe que vis à vis de ceux qu’ils connoiſſent ou timides ou mal-adroits. Je connois tels de mes écoliers, dit le maître d’armes dans Thimon le miſantrope, qui n’oſeroient jamais ſe battre s’ils n’étoient ſûrs de le faire ſans péril.

Si les Spadaſſins font haïſſables vous m’avouerez que les lâches ne le ſont pas moins : la valeur eſt le ſeul rempart que la nature ait accordé aux hommes contre la violence : c’eſt l’unique obſtacle que les Rois puiſſent oppoſer à