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Que Moliére ait d’abord reſpecté le goût du Public pour s’en faire écouter, il a bien fait. C’eſt le pere qui frotte de miel le vaſe qui tient la médecine qu’il preſente à ſon enfant. Il s’agit de ſavoir ſi le goût que Moliére a reconnu dans ſes compatriotes, étoit un mauvais goût en lui même, & ſi en le reſpectant c’étoit entretenir les defauts, les ridicules & les vices que ce goût mal dirigé pouvoit produire. Or il eſt aiſé de prouver que l’uſage que Moliére a fait de ce goût loin d’être préjudiciable, fut utile aux progrès de ſa morale & l’on en doit conclure qu’il étoit bon en lui-même, & qu’il a du le reſpecter. On ne doit pas deſſecher un fleuve parce que dans ſon cours il entraine des immondices, détournez les égouts, ſes eaux reſteront pûres.

Tout Auteur qui veut nous peindre des mœurs étrangeres a pourtant grand ſoin d’aproprier ſa piéce aux nôtres : pourquoi ne le feroit il pas ? S’il eſt contraire aux mœurs des François ou s’ils répugne de voir ſur leur ſcene les horreurs ſi communes aux Théatres Anglois, c’eſt que les crimes de l’eſpece de ceux qu’on leur offriroit ne leur ſont pas familiers, que l’eſprit toujours ami de la vérité & de la vraiſemblance rejette des images dont le cœur n’eſt pas capable de ſe peindre les originaux. Je ne ſai ſi la bonne ou mauvaiſe opinion qu’on prendroit du cœur d’un Peuple ne ſeroit pas fondée légitimement ſur le goût de ſes ſpectacles, il eſt certain, à ce qu’il me ſemble, que celui qui ſe laiſſe toucher d’hor-