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doit mieux, ne vous deplaiſe, ſi ſon Miſantrope eut toujours dit des injures groſſieres, il auroit révolté ; il lui en fait dire de plaiſantes, il amuſe.

La force du caractere vouloit qu’Alceſte dit bruſquement à Oronte, vôtre Sonnet ne vaut rien. Point du tout ; la force du caractere ne vouloit point cela. Les je ne dis pas cela repettés ſont le coup de pinceau que la force du caractere éxigeoit & décèlent le grand maitre. Comme un homme qui marche ſur le verglas trébuche, vacille, s’efforce envain de garder l’équilibre toujours prêt à lui échapper, & tombe enfin d’une chûte que ſes efforts pour ſe retenir rendent encore plus peſante ; de même Alceſte en qui la raiſon s’efforce en vain d’enchaîner le caractère eſt dans le cas de l’homme qui trébuche ſur la glace : par ſes réticences, il annonce une brusquerie, une impertinence qui va partir avec d’autant plus d’effet qu’il a fait plus d’efforts pour la retenir.

Si Alceſte ſe fut contenté de dire brusquement Votre Sonnet ne vaut rien, ſon caractere y auroit perdu ces traits admirables, on n’auroit vû qu’un homme groſſier, on n’auroit pas vû Alceſte, & cette grande véracité que vous lui prescrivez n’eſt gueres le propre que des ruſtres, des ivrognes, ou des inſolents parvenûs : au lieu qu’Alceſte eſt un homme de naiſſance, à qui les ſottiſes offenſantes doivent coûter quelque peine à proférer.

Le temperament parle chez lui plus ſou-