Page:Dancourt - À Mr. J. J. Rousseau, 1759.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ſent aller le monde comme il va, bien perſuadés que le rôle de Réformateur eſt auſſi dangereux qu’inutile à jouer.

Philinte eſt de ces gens là : il ſçait qu’un homme pour être homme de bien a aſſés d’affaire de s’obſerver lui même, ſans ſe charger encore du ſoin de réformer les autres. Ils ſçait que la contradiction aigrit & préfère de ſe faire des amis par ſa complaiſance, à l’honneur de ſe faire haïr inutilement par la Miſantropie.

Vous voulez que le Miſantrope s’emporte ſur tous les deſordres dont il n’eſt que le témoin ; mais qu’il ſoit froid ſur ce qui s’addreſſe directement à lui : mais cet homme là ne ſeroit plus Alceſte, à l’emportement près ce ſeroit Socrate ; or ce n’eſt pas Socrate, que Moliére a voulu peindre, c’eſt Alceſte, c’eſt le Miſantrope : c’eſt un ſage par amour propre & un brutal par temperamment, c’eſt un orgueilleux fâché contre tout le genre humain de ce que tout le genre humain ne s’arrête pas à contempler ſa ſageſſe. Or il y a beaucoup d’Alceſtes dans le monde : n’en ſeriez vous pas un, vous qui parlez ? Si cela eſt, c’eſt vous & vos pareils que Moliére a voulu jouer & non pas Socrate.

Il ne s’agit pas de ſçavoir ſi le Miſantrope que vous dites, eſt celui que Moliére auroit dû mettre ſur la ſcene ; vous n’êtes pas aſſurément fait pour apprendre à ce Grand homme ce qui convenoit le mieux au Théatre de ſon tems & du nôtre. Il s’agit de ſçavoir s’il y a dans le monde des Miſantropes comme celui de Mo-