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du public ; et ils demandent quelle règle, quelle boussole peut servir à guider l’artiste avec quelque sécurité à travers les conflits du goût moderne. Cette recherche persévérante permet-elle de compter sur une heureuse issue ?

VI.

Eh bien ! oui, il est possible, dans une certaine mesure, d’autoriser cette confiance, et nous la justifierons en éclairant la route si encombrée de ruines où tout artiste moderne doit s’engager ; car au-dessus des variations du goût public, il y a des vérités qui tiennent à la nature des choses, et que l’architecte peut et doit atteindre par sa pensée et exprimer dans ses œuvres. Pour plus de précision et de clarté, nous prendrons un exemple, celui de l’architecture funéraire contemporaine, et après avoir mis en lumière les idées ou sentiments dont elle relève, nous montrerons ce que devient l’expression architecturale de ces idées ou sentiments à travers les deux périodes : de l’évolution ou période des principes, et de la transition ou période des transactions. Ce livre sur l’Architecture funéraire est né lui-même des méditations que nous allons livrer à l’appréciation publique. C’est un recueil de tombeaux et d’édifices funéraires, choisis avec une grande attention, principalement parmi les œuvres les mieux réussies et les plus récentes des cimetières de Paris ; et l’analyse de la pensée qui a présidé à sa composition montrera, comment, dans le cas particulier à l’architecture funéraire, il est possible de dégager, du sein de la confusion générale des idées modernes, les vérités qui ressortent de la nature des choses et que l’architecte est tenu de voir avec une parfaite clarté s’il ambitionne de donner à ses œuvres un sens défini.

VII.

Dans un monument funéraire, on ne peut exprimer que trois idées ou sentiments :

L’idée de la mort,

L’hommage rendu au mort,

L’invocation religieuse à propos du mort.

Toutefois, ces trois idées ou sentiments ne sauraient avoir une même valeur dans tous les temps et pour tous les esprits.

La mort est ici une idée irréductible : rien ne saurait l’effacer du programme d’un tombeau ; elle peut varier dans son caractère aux yeux de chacun, suivant, par exemple, que l’on accepte ou non le principe de l’immortalité de l’âme et de la résurrection des corps ; mais il est impossible d’écarter d’un tombeau l’idée de la mort.

Les deux autres idées, au contraire, celle de la glorification du mort et celle d’une invocation aux puissances célestes, sont parfois, à de certains moments que nous préciserons, entièrement écartées, ou ne sont admises que partiellement. En effet, il y a les hommes du dévouement et les hommes de l’égoïsme, il y a des génies et des intelligences inertes, comme il y a aussi des cœurs remplis d’enthousiasme religieux à côté de sceptiques déterminés ; il y a encore et surtout, entre ces termes extrêmes, les représentants de tous les degrés de la série. Pour ces hommes, si différents par leurs croyances — morts, auxquels on rend un dernier hommage, et survivants, chargés de ce pieux devoir —, la glorification du mort et l’invocation aux puissances célestes peuvent, ensemble ou isolément, être considérées comme à peu près tout ou à peu près rien dans un monument funéraire.

L’architecte, d’ailleurs, ne saurait échapper à l’action de son client. Il en reçoit les instructions : celui-ci est un fervent croyant, il veut qu’on exprime en même temps sa douleur et sa foi en la résurrection éternelle ; celui-là est libre penseur, sa volonté est d’honorer seulement la mémoire du mort, qui était peut-être un savant éminent ou un artiste illustre, c’est une apothéose qu’il demande ; l’un est catholique, et invoque l’intervention figurée des anges ; l’autre est protestant, et les formes austères lui conviennent davantage ; enfin, un dernier, fier de son opulence, veut bien laisser toute liberté à l’architecte, pourvu qu’il trouve la satisfaction de sa vanité ou de son orgueil dans le monument projeté.

Ajoutons, à regret, que les architectes, même les plus illustres, n’ont gardé que d’une façon vague devant leur pensée les trois éléments essentiels de l’expression funéraire : — la Mort, la Glorification du mort, l’Invocation céleste à l’occasion du mort. On peut même dire que cette analyse de l’expression funéraire, si simple cependant, n’a été encore faite par eux qu’instinctivement, c’est-à-dire de sentiment, et non par une vue nette et précise de l’esprit. Certains architectes ne se sont même jamais occupés que de l’effet plastique de ce genre de monument, sans y attacher d’autres idées que celles qui leur ont été suggérées par la routine ; et de là, dans leurs œuvres, une absence de clarté d’expression produisant une fatigue comparable à celle qui fait tomber des mains du lecteur un livre obscur ou mal écrit.

VIII.

Le tableau suivant résume la classification de tous les spécimens possibles de l’architecture funé-