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pouvais en détacher mes yeux. Quand y rentrerons-nous ? Et alors que de ruines ! Que vont devenir nos pauvres chrétiens ? Le régent, exaspéré par l’attaque des Français, enflé de ce qui lui semblera un éclatant triomphe, va tout mettre à feu et à sang. Je passai de tristes instants pendant les quelques jours que l’on resta au mouillage ; mon cœur était abreuvé d’amertume. L’espoir de voir bientôt mes confrères m’encouragea un peu. Ils arrivèrent en effet sur le Laplace, qui avait été à Tche-fou chercher les dépêches. Je renonce à décrire leur désolation quand ils connurent l’état des choses.

« En quittant la Corée, la flotte se sépara. La Guerrière et le Kien-chan allèrent au Japon, le Laplace retourna à Tche-fou, les quatre autres navires se dirigèrent sur Chang-haï. Nous y sommes venus nous-mêmes sur le Primauguet, dont le commandant et les officiers se montrèrent à notre égard pleins de complaisance et de cordiale attention. Nous avons amené dix Coréens, les trois que j’avais avec moi en quittant Tche-fou, celui qui vint me rejoindre à Kang-hoa, et les six dont je viens de parler. Ils sont ici, habillés à la chinoise, attendant le moment favorable pour regagner leur pays, ou seuls, ou avec quelqu’un d’entre nous. Le retour inattendu de l’expédition, après un pareil insuccès, a étonné tout le monde et excité la verve des journaux anglais. Je vous fais grâce de leurs réflexions à ce sujet. On dit et répète que, pour la sûreté des Européens dans l’extrême Orient, pour rétablir le prestige de leurs armes, il faut absolument que les Français retournent en Corée au printemps prochain avec des forces suffisantes ; sinon, les Anglais et les Américains parlent de faire eux-mêmes une expédition. Qu’en arrivera-t-il ? Priez, priez beaucoup pour notre infortunée mission. »


On sait que les Français ne sont pas retournés en Corée, et que les Anglais n’ont pas songé à y faire la moindre expédition. Divers navires des États-Unis, échoués sur les côtes de Corée, ayant été brûlés et leurs équipages massacrés, une petite flottille américaine vint, en 1871, afin de négocier un traité pour la protection des naufragés. Le 1er juin, pendant que deux canonnières prenaient des sondages dans la rivière Salée, entre l’île de Kang-hoa et la terre ferme, les Coréens ouvrirent le feu sans déclaration ni sommation préalables. Les canonnières répondirent et firent promptement taire les forts de l’ennemi. L’amiral Rodgers, supposant que ce conflit était l’œuvre de quelque agent subalterne, attendit inutilement pendant dix jours les explica-